Merde. Les vacances sont finies. Merde. Plus le temps d'écrire des trucs pour ce blog. Merde. Enfin si, peut-être, j'essaierai. Merde. Je vais m'en sortir. Merde. Refourguer des vieux machins déjà publiés ailleurs. Merde. Il y a longtemps, sur un site d'informations musicales. Merde. Le truc est inactif depuis des années. Merde. Ça fait mal. Merde. Pas envie de laisser mes textes enterrés là-dedans. Merde. Je les veux en vitrine dans ma propre boutique. Merde. Ça ne saigne pas. Merde. En profiter pour les revoir et les corriger. Merde. Une bonne fessée, ça ne peut pas leur faire de mal. Merde. Nouvelle édition améliorée, je m'y mets dès que possible. Merde. Ça gonfle et c'est tout rouge. Merde. Mon doigt, mon doigt comme le texte. Merde. Trop maladroit pour tendre un piège à rats. Merde. Trop mal au doigt, je ne vais pas taper avec celui-là. Merde. Je ne suis pas marteau, je suis snob. Merde. Un doigt en l'air pour prendre le T avec les autres et prendre l'R, un coup dans l'L, un coup dans le Q, je prends l'O, je suis un K, je lance le D, je fais un P, j'M.
L’homme préhistorique avait des cors aux pieds mais à part en souffrir ne savait qu’en faire. La douleur se faisait horriblement présente pendant les longues périodes de digestion où l’esprit n’a rien d’autre à se mettre sous la dent. Pendant une de ces journées d’estomac distendu, lendemain de chasse au mammouth fructueuse, il eut l’idée de souffler dessus afin d’en atténuer le mal. À défaut de polaroid, l’art pariétal est bien faible pour rendre l’effet de surprise qui transfigura la trogne du Cro-Magnon quand un son puissant et mélodieux jaillit de ses durillons.
La formidable faculté d’apprentissage de l’être humain fit que quelques années plus tard, de la Dordogne à la Pologne, tout le monde passait son temps libre à se souffler dans les arpions. Cette activité assez contraignante pour la colonne vertébrale développa des cyphoses à l’ensemble de la maigre population d’alors, fixant pour l’éternité le célèbre profil voûté de l’homme des cavernes. On avait bien remarqué que la belle et franche sonorité qui émanait des cors aurait pu servir à rabattre le gibier et à envoyer des signaux mais ce n’était pas pratique de s'arrêter en pleine course, de lever le pied lors de la poursuite d’un bifteck. Jouer du cor resta donc longtemps une distraction de campement où les tibias à bec et les fémurs traversiers accompagnaient les gammes jouées sur le registre des dix orteils, préfigurant la flûte de Pan. C’était une époque où l’on savait prendre son pied en musique.
Mais vint le temps où les techniques d’affûtage des silex furent suffisamment perfectionnées pour qu’on envisageât de désolidariser chirurgicalement les cors de leurs supports pédestres. Des scalpels rudimentaires furent mis au point et l’on trancha dans le vif du sujet. Cependant, nombreux furent dans les deux camps ceux qui choisirent de rester solidaires, ne supportant pas la douleur de la séparation. Les autres s'attachant moins, à peine séparés des pieds des chasseurs et poussant de longues plaintes mélancoliques, changèrent de forme, s’allongèrent et se courbèrent, prenant à leur charge les cyphoses maudites pendant que l’humanité excoriée se redressait. Enthousiasmés par ces nouveaux instruments, les hommes les emportèrent en expédition cynégétique : le cor de chasse était né.
Bien des millénaires plus tard, alors que l’origine des cors était complètement oubliée et que se répandaient des contrefaçons en corne, en bois et en cuivre, un pur se souvint et fut par sa mémoire retrouvée le responsable involontaire d’un massacre. Roland et sa troupe formaient l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne qui rentrait d’Espagne. L’empereur avait imposé de cuisantes défaites aux Arabes et la soldatesque épuisée n’avait qu’une hâte : réintégrer le plus rapidement possible les casernements d’Aix-la-Chapelle, capitale franque de l’époque. Selon toutes probabilités, Roland n’aurait jamais dû emprunter le défilé fatal de Roncevaux. Le gros de l’armée avait pris un chemin différent et il n’y avait aucune raison de ne pas les suivre. Mais consultant le parchemin couvert d’encre grossière qui faisait office de carte d’état-major en ces temps barbares, le valeureux héros en offrit une vue plongeante au cor suspendu à son plastron. Celui-ci tomba par hasard sur une insignifiante moucheture indiquant le village de Saint-Jean-Pied-de-Port. Ce nom agissant comme agira un millier d’années plus tard la madeleine chez Proust, fit rejaillir à l’esprit de l’instrument les origines de son espèce, car les cors, bien avant de hanter les pieds des hommes, avaient fréquenté ceux des porcs. Son ignorance crasse des subtilités de l’orthographe, en un temps où l’écrit était plus à la pointe du progrès qu’à celle du crayon, fit beaucoup pour cette remembrance.
Dès lors, le cor n’eut de cesse de tarabuster Roland afin que l’on déviât de l’itinéraire prévu. Il souhaitait se rendre au cœur de ce village afin que sa mémoire y put travailler dans des conditions optima, sans doute restait-il des zones d’ombre dans ce phénomène de réminiscence. Mais le neveu de Charlemagne ne l’entendait pas de cette oreille et il dut se faire prier longuement avant de céder, épuisé par le tapage du cor. Celui-ci poussait de longs et insupportables beuglements qui firent craindre à la troupe que l’instrument fût ensorcelé, le diable au cor était chose possible.
On s’engagea donc à contrecœur dans le défilé de Roncevaux qui conduisait à Saint-Jean-Pied-de-Port, c’était un canyon aux parois abruptes dont les sommets peu rassurants pouvaient dissimuler toutes sortes d’ennemis. Lorsqu’il vit débouler la meute d’agresseurs féroces vêtus de peaux de biques et coiffés de noirs bérets, Roland furieux, comprit un peu tard qu’il n’aurait jamais dû céder aux jérémiades du cor. Les Francs n’avaient aucune chance de s’en sortir face à ces Basques bondissants parmi les rochers en poussant des cris qui leur mettaient les nerfs en pelote. Des volées de javelots et de palankak surgis des hauteurs eurent tôt fait d’exterminer le gros de la troupe, transformant le moindre soldat en zikiro. Les derniers survivants furent massacrés à coups de haches et les têtes tranchées projetées contre la muraille rebondissaient en un jeu cruel vers les étranges gants d’osiers dont étaient affublés certains ennemis, comme des paniers au bout des bras.
Après s’être vaillamment défendu, Roland tomba mort à son tour, le flanc éventré, et un grand silence ne se fit pas parmi le champ de bataille, eh ben non ! Les Euskaldunak, chacun enivré de grandes rasades de vin clairet dispensées à la zurrust depuis le goulot de sa zahato, commençaient à détrousser les cadavres quand leurs rapines furent interrompues par une puissante sonnerie funèbre qui résonna dans toutes les Pyrénées. C’était le cor repentant qui jouait la curée parmi les entrailles du héros carolingien, désolé de ce massacre et désappointé de ne pouvoir rallier Saint-Jean-Pied-de-Port. Les pillards épouvantés s’enfuirent comme des écoliers chapardeurs par les cols buissonniers, abandonnant là leur sac, leurs goûters et l’instrument.
Ce que racontent les manuels d’Histoire est erroné, il n’y eut ni trahison, ni abandon, ni appel à l’aide, juste un grand cri de désarroi qui atteste que toute erreur est irrémédiable, que tout repentir est obsolète. Le temps passa suivant son habitude, déformant les faits et créant les légendes. Les cors connurent diverses fortunes, se serrant les coudes, développant ce fameux esprit de cor qui leur valut de survivre dans les moments difficiles.
Diverses persécutions entravaient régulièrement la bonne humeur des cors. Trop d’entre d’eux finissaient écrasés parce que de fiers aristocrates, plutôt que s’écarter, préféraient qu’on leur passât sur le cor. Combien furent kidnappés par l’empressement de pingres châtelaines, lors de guets-apens, à offrir leur cor à la place de leurs bijoux. Depuis la plus haute antiquité, de cruels savants étudiaient la chute des cors en les précipitant depuis tous sommets : falaises, phares, clochers, minarets, donjons, balcons, la liste est longue sans compter les puits profonds qui ne sont pas à classer parmi les hauteurs. Des variantes de ce supplice égayaient davantage les bourreaux que les victimes et nous conviendrons sans peine que périr noyé dans la baignoire d’Archimède n’offrait aucune compensation. D’écœurants eurêka s’élevaient en surplomb des charniers de cors, véritables fosses d’orchestre à la gloire de la science maudite.
Cela ne pouvait plus durer, il fallait agir. En 1687, une délégation de victimes se réunit en cors constitués et soupesa la gravité du problème. On décida d’intimider la communauté scientifique en exécutant l’un d’entre d’eux pour l’exemple. Pour accomplir cette mission un cor franc fut désigné. Ce commando à lui tout seul fut chargé d’assassiner Isaac Newton, savant d’alors qui se faisait un peu lourd à force d’étudier la gravitation. Le tueur, aguerri à toutes les techniques de combats, avait l’intention de lui dégainer sa rengaine, lui jouer un air mortel de Didier Barbelivien. Ce compositeur en vogue à la Cour avait fait périr d’ennui bien des assemblées. Le sieur Newton fut repéré sommeillant sous un pommier. Le cor, afin d’être stratégiquement placé à hauteur d’oreille, entreprit l’escalade de l’arbre quand, par inadvertance, il fit tomber une pomme sur la tête de l’homme endormi. Se sentant trahi par le funeste fruit, l’assassin déconfit fila à l’anglaise à travers la campagne éponyme. Le cor honteux rendait compte de son échec, craignant pour la suite de sa carrière de tueur, quand il s’aperçut des mines réjouies de son tribunal. À sa grande surprise, on le décora. Tout était réglé, le problème était définitivement résolu. Jamais plus on ne chercherait quoi que ce soit dans la chute des cors car on avait enfin trouvé. Grâce à la dégringolade d’une pomme, Isaac Newton venait de découvrir les lois de l’attraction universelle. Bien des amours compliquées étaient enfin éclaircies puisqu’on savait maintenant que les cors s’attirent en raison inverse du carré de leur distance.
Le XIXème siècle fut une période âpre où les cors durent rester cachés en butte à un puritanisme bourgeois issu de la Révolution. Après les grandes sonneries du XVIIIème, cet instrument fut bâillonné et seuls de timides couacs se firent entendre au fonds des maisons closes. Bien sûr, le siècle libertin avait un peu abusé dans l’autre sens, souvenez-vous des excès de ce Sade qui démantibulait les cors au point d’en faire de pâles et obscurs prototypes de robinetterie masochistes, hurlants en sa faveur.
L’ère industrielle permit la fabrication de chaussures à moindre coût, on ne vit plus de pieds nus dans la rue et l’invention de la charentaise contribua à diminuer de façon notable la population durillonnaire. D’autres innovations accélérèrent le génocide telles que la chaussure distinguant le pied droit du gauche ou la création d’une échelle précise de pointures interdisant à tout jamais les aberrations du style 42 fillette. Ramollis par le luxe, l’espèce des cors dégénéra et seuls les plus endurcis survécurent. Un certain nombre perdirent pied en s’acoquinant avec les diverses contrefaçons qu’ils avaient toujours haïes. C’était une solution pour ne pas toucher le fond. On vit de véritables durillons en excroissance de peau convoler en justes noces avec des clairons astiqués, voire avec des cors anglais. La pureté de la race s’en trouva sérieusement compromise et ne s’en remit jamais.
Cette dissimulation doublée d’une assimilation perdura bien au-delà du siècle cachottier et il fallut attendre Mai 1968 et la sandale hippie pour que la libération des cors soit pleine et entière. Électrifié dans les années 1880 par le maladroit Harold P. Brown qui cherchait plutôt à l’électrocuter qu’autre chose, le cor électrique ne connut son heure de gloire qu’à l’avènement du rock. On vit surgir à cette période des virtuoses tel ce Jimi Hendrix qui renouvela totalement le registre de l’instrument en le maltraitant jusqu’au limites de l’audible, sans toutefois aller aussi loin que le divin marquis. À leurs cors défendant, il faut quand même signaler que ces musiciens prenaient la pilule, prescrite en de planantes pharmacopées, ce qui leur permettait de se donner à fond sur leur instrument sans risquer de fausses notes qui auraient engrossé la médiocrité.
Aujourd’hui, l’ambiance est un peu retombée et le cor a tendance à se cantonner dans des créneaux bien précis comme la sonorisation des plages, des films pornos et des cabinets de pédicures. Mais bien que le sable soit chaud, c’est surtout dans les deux autres qu’on lime. Le virus acide et corrosif de la muzak, un syndrome d’inspiration déficitaire acquis, donne au plus rutilant des instruments un coup de vieux, un air de vert-de-gris, une patine ratée. Cette maladie musicalement transmissible fait des ravages en s’attaquant au métal des cuivres et il devient risqué de les sortir de leur étui même enduit d’une bonne dose de Mirror. De quoi nous faire oublier à nouveau que le cor, ça vient du pied et que ça doit rester le pied.
Tout ce que vous venez de lire est évidemment de l’Histoire avec une grande hache et des pétards, du bruit et de la fureur, de l'apogée et du déclin. Loin de moi l’idée de douter de ces épopées mais il faut bien reconnaître qu’entre les pics venteux et enneigés de la postérité, il existe de calmes vallées où l’existence se déroule paisiblement sans autres incidents plus graves qu’une gorge enrouée quand vient l’hiver, qu’un verre d’orangeade renversé quand revient l’été. Je connais personnellement un petit cor de chasse qui n’a jamais été pistonné, bien qu’il ait trouvé l’harmonie. L’individu ne fait guère de bruit, retiré dans un coquet pavillon à l’embouchure d'un de nos grands fleuves. Quand le temps est au beau, il sort de sa maisonnette pour une promenade vers l’estuaire et toute l’expérience de sa vie est contenue entre ces deux points : de l’embouchure au pavillon, une brise de mer, le souffle serein et régulier de l’existence…
Le cor
L’homme préhistorique avait des cors aux pieds mais à part en souffrir ne savait qu’en faire. La douleur se faisait horriblement présente pendant les longues périodes de digestion où l’esprit n’a rien d’autre à se mettre sous la dent. Pendant une de ces journées d’estomac distendu, lendemain de chasse au mammouth fructueuse, il eut l’idée de souffler dessus afin d’en atténuer le mal. À défaut de polaroid, l’art pariétal est bien faible pour rendre l’effet de surprise qui transfigura la trogne du Cro-Magnon quand un son puissant et mélodieux jaillit de ses durillons.
La formidable faculté d’apprentissage de l’être humain fit que quelques années plus tard, de la Dordogne à la Pologne, tout le monde passait son temps libre à se souffler dans les arpions. Cette activité assez contraignante pour la colonne vertébrale développa des cyphoses à l’ensemble de la maigre population d’alors, fixant pour l’éternité le célèbre profil voûté de l’homme des cavernes. On avait bien remarqué que la belle et franche sonorité qui émanait des cors aurait pu servir à rabattre le gibier et à envoyer des signaux mais ce n’était pas pratique de s'arrêter en pleine course, de lever le pied lors de la poursuite d’un bifteck. Jouer du cor resta donc longtemps une distraction de campement où les tibias à bec et les fémurs traversiers accompagnaient les gammes jouées sur le registre des dix orteils, préfigurant la flûte de Pan. C’était une époque où l’on savait prendre son pied en musique.
Mais vint le temps où les techniques d’affûtage des silex furent suffisamment perfectionnées pour qu’on envisageât de désolidariser chirurgicalement les cors de leurs supports pédestres. Des scalpels rudimentaires furent mis au point et l’on trancha dans le vif du sujet. Cependant, nombreux furent dans les deux camps ceux qui choisirent de rester solidaires, ne supportant pas la douleur de la séparation. Les autres s'attachant moins, à peine séparés des pieds des chasseurs et poussant de longues plaintes mélancoliques, changèrent de forme, s’allongèrent et se courbèrent, prenant à leur charge les cyphoses maudites pendant que l’humanité excoriée se redressait. Enthousiasmés par ces nouveaux instruments, les hommes les emportèrent en expédition cynégétique : le cor de chasse était né.
Bien des millénaires plus tard, alors que l’origine des cors était complètement oubliée et que se répandaient des contrefaçons en corne, en bois et en cuivre, un pur se souvint et fut par sa mémoire retrouvée le responsable involontaire d’un massacre. Roland et sa troupe formaient l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne qui rentrait d’Espagne. L’empereur avait imposé de cuisantes défaites aux Arabes et la soldatesque épuisée n’avait qu’une hâte : réintégrer le plus rapidement possible les casernements d’Aix-la-Chapelle, capitale franque de l’époque. Selon toutes probabilités, Roland n’aurait jamais dû emprunter le défilé fatal de Roncevaux. Le gros de l’armée avait pris un chemin différent et il n’y avait aucune raison de ne pas les suivre. Mais consultant le parchemin couvert d’encre grossière qui faisait office de carte d’état-major en ces temps barbares, le valeureux héros en offrit une vue plongeante au cor suspendu à son plastron. Celui-ci tomba par hasard sur une insignifiante moucheture indiquant le village de Saint-Jean-Pied-de-Port. Ce nom agissant comme agira un millier d’années plus tard la madeleine chez Proust, fit rejaillir à l’esprit de l’instrument les origines de son espèce, car les cors, bien avant de hanter les pieds des hommes, avaient fréquenté ceux des porcs. Son ignorance crasse des subtilités de l’orthographe, en un temps où l’écrit était plus à la pointe du progrès qu’à celle du crayon, fit beaucoup pour cette remembrance.
Dès lors, le cor n’eut de cesse de tarabuster Roland afin que l’on déviât de l’itinéraire prévu. Il souhaitait se rendre au cœur de ce village afin que sa mémoire y put travailler dans des conditions optima, sans doute restait-il des zones d’ombre dans ce phénomène de réminiscence. Mais le neveu de Charlemagne ne l’entendait pas de cette oreille et il dut se faire prier longuement avant de céder, épuisé par le tapage du cor. Celui-ci poussait de longs et insupportables beuglements qui firent craindre à la troupe que l’instrument fût ensorcelé, le diable au cor était chose possible.
On s’engagea donc à contrecœur dans le défilé de Roncevaux qui conduisait à Saint-Jean-Pied-de-Port, c’était un canyon aux parois abruptes dont les sommets peu rassurants pouvaient dissimuler toutes sortes d’ennemis. Lorsqu’il vit débouler la meute d’agresseurs féroces vêtus de peaux de biques et coiffés de noirs bérets, Roland furieux, comprit un peu tard qu’il n’aurait jamais dû céder aux jérémiades du cor. Les Francs n’avaient aucune chance de s’en sortir face à ces Basques bondissants parmi les rochers en poussant des cris qui leur mettaient les nerfs en pelote. Des volées de javelots et de palankak surgis des hauteurs eurent tôt fait d’exterminer le gros de la troupe, transformant le moindre soldat en zikiro. Les derniers survivants furent massacrés à coups de haches et les têtes tranchées projetées contre la muraille rebondissaient en un jeu cruel vers les étranges gants d’osiers dont étaient affublés certains ennemis, comme des paniers au bout des bras.
Après s’être vaillamment défendu, Roland tomba mort à son tour, le flanc éventré, et un grand silence ne se fit pas parmi le champ de bataille, eh ben non ! Les Euskaldunak, chacun enivré de grandes rasades de vin clairet dispensées à la zurrust depuis le goulot de sa zahato, commençaient à détrousser les cadavres quand leurs rapines furent interrompues par une puissante sonnerie funèbre qui résonna dans toutes les Pyrénées. C’était le cor repentant qui jouait la curée parmi les entrailles du héros carolingien, désolé de ce massacre et désappointé de ne pouvoir rallier Saint-Jean-Pied-de-Port. Les pillards épouvantés s’enfuirent comme des écoliers chapardeurs par les cols buissonniers, abandonnant là leur sac, leurs goûters et l’instrument.
Ce que racontent les manuels d’Histoire est erroné, il n’y eut ni trahison, ni abandon, ni appel à l’aide, juste un grand cri de désarroi qui atteste que toute erreur est irrémédiable, que tout repentir est obsolète. Le temps passa suivant son habitude, déformant les faits et créant les légendes. Les cors connurent diverses fortunes, se serrant les coudes, développant ce fameux esprit de cor qui leur valut de survivre dans les moments difficiles.
Diverses persécutions entravaient régulièrement la bonne humeur des cors. Trop d’entre d’eux finissaient écrasés parce que de fiers aristocrates, plutôt que s’écarter, préféraient qu’on leur passât sur le cor. Combien furent kidnappés par l’empressement de pingres châtelaines, lors de guets-apens, à offrir leur cor à la place de leurs bijoux. Depuis la plus haute antiquité, de cruels savants étudiaient la chute des cors en les précipitant depuis tous sommets : falaises, phares, clochers, minarets, donjons, balcons, la liste est longue sans compter les puits profonds qui ne sont pas à classer parmi les hauteurs. Des variantes de ce supplice égayaient davantage les bourreaux que les victimes et nous conviendrons sans peine que périr noyé dans la baignoire d’Archimède n’offrait aucune compensation. D’écœurants eurêka s’élevaient en surplomb des charniers de cors, véritables fosses d’orchestre à la gloire de la science maudite.
Cela ne pouvait plus durer, il fallait agir. En 1687, une délégation de victimes se réunit en cors constitués et soupesa la gravité du problème. On décida d’intimider la communauté scientifique en exécutant l’un d’entre d’eux pour l’exemple. Pour accomplir cette mission un cor franc fut désigné. Ce commando à lui tout seul fut chargé d’assassiner Isaac Newton, savant d’alors qui se faisait un peu lourd à force d’étudier la gravitation. Le tueur, aguerri à toutes les techniques de combats, avait l’intention de lui dégainer sa rengaine, lui jouer un air mortel de Didier Barbelivien. Ce compositeur en vogue à la Cour avait fait périr d’ennui bien des assemblées. Le sieur Newton fut repéré sommeillant sous un pommier. Le cor, afin d’être stratégiquement placé à hauteur d’oreille, entreprit l’escalade de l’arbre quand, par inadvertance, il fit tomber une pomme sur la tête de l’homme endormi. Se sentant trahi par le funeste fruit, l’assassin déconfit fila à l’anglaise à travers la campagne éponyme. Le cor honteux rendait compte de son échec, craignant pour la suite de sa carrière de tueur, quand il s’aperçut des mines réjouies de son tribunal. À sa grande surprise, on le décora. Tout était réglé, le problème était définitivement résolu. Jamais plus on ne chercherait quoi que ce soit dans la chute des cors car on avait enfin trouvé. Grâce à la dégringolade d’une pomme, Isaac Newton venait de découvrir les lois de l’attraction universelle. Bien des amours compliquées étaient enfin éclaircies puisqu’on savait maintenant que les cors s’attirent en raison inverse du carré de leur distance.
Le XIXème siècle fut une période âpre où les cors durent rester cachés en butte à un puritanisme bourgeois issu de la Révolution. Après les grandes sonneries du XVIIIème, cet instrument fut bâillonné et seuls de timides couacs se firent entendre au fonds des maisons closes. Bien sûr, le siècle libertin avait un peu abusé dans l’autre sens, souvenez-vous des excès de ce Sade qui démantibulait les cors au point d’en faire de pâles et obscurs prototypes de robinetterie masochistes, hurlants en sa faveur.
L’ère industrielle permit la fabrication de chaussures à moindre coût, on ne vit plus de pieds nus dans la rue et l’invention de la charentaise contribua à diminuer de façon notable la population durillonnaire. D’autres innovations accélérèrent le génocide telles que la chaussure distinguant le pied droit du gauche ou la création d’une échelle précise de pointures interdisant à tout jamais les aberrations du style 42 fillette. Ramollis par le luxe, l’espèce des cors dégénéra et seuls les plus endurcis survécurent. Un certain nombre perdirent pied en s’acoquinant avec les diverses contrefaçons qu’ils avaient toujours haïes. C’était une solution pour ne pas toucher le fond. On vit de véritables durillons en excroissance de peau convoler en justes noces avec des clairons astiqués, voire avec des cors anglais. La pureté de la race s’en trouva sérieusement compromise et ne s’en remit jamais.
Cette dissimulation doublée d’une assimilation perdura bien au-delà du siècle cachottier et il fallut attendre Mai 1968 et la sandale hippie pour que la libération des cors soit pleine et entière. Électrifié dans les années 1880 par le maladroit Harold P. Brown qui cherchait plutôt à l’électrocuter qu’autre chose, le cor électrique ne connut son heure de gloire qu’à l’avènement du rock. On vit surgir à cette période des virtuoses tel ce Jimi Hendrix qui renouvela totalement le registre de l’instrument en le maltraitant jusqu’au limites de l’audible, sans toutefois aller aussi loin que le divin marquis. À leurs cors défendant, il faut quand même signaler que ces musiciens prenaient la pilule, prescrite en de planantes pharmacopées, ce qui leur permettait de se donner à fond sur leur instrument sans risquer de fausses notes qui auraient engrossé la médiocrité.
Aujourd’hui, l’ambiance est un peu retombée et le cor a tendance à se cantonner dans des créneaux bien précis comme la sonorisation des plages, des films pornos et des cabinets de pédicures. Mais bien que le sable soit chaud, c’est surtout dans les deux autres qu’on lime. Le virus acide et corrosif de la muzak, un syndrome d’inspiration déficitaire acquis, donne au plus rutilant des instruments un coup de vieux, un air de vert-de-gris, une patine ratée. Cette maladie musicalement transmissible fait des ravages en s’attaquant au métal des cuivres et il devient risqué de les sortir de leur étui même enduit d’une bonne dose de Mirror. De quoi nous faire oublier à nouveau que le cor, ça vient du pied et que ça doit rester le pied.
Tout ce que vous venez de lire est évidemment de l’Histoire avec une grande hache et des pétards, du bruit et de la fureur, de l'apogée et du déclin. Loin de moi l’idée de douter de ces épopées mais il faut bien reconnaître qu’entre les pics venteux et enneigés de la postérité, il existe de calmes vallées où l’existence se déroule paisiblement sans autres incidents plus graves qu’une gorge enrouée quand vient l’hiver, qu’un verre d’orangeade renversé quand revient l’été. Je connais personnellement un petit cor de chasse qui n’a jamais été pistonné, bien qu’il ait trouvé l’harmonie. L’individu ne fait guère de bruit, retiré dans un coquet pavillon à l’embouchure d'un de nos grands fleuves. Quand le temps est au beau, il sort de sa maisonnette pour une promenade vers l’estuaire et toute l’expérience de sa vie est contenue entre ces deux points : de l’embouchure au pavillon, une brise de mer, le souffle serein et régulier de l’existence…
Notes :
-Aucun cor n'a été maltraité pendant la rédaction de ce texte. Ils ont été correctement frottés et astiqués avec des produits certifiés biologiques et je suis toujours resté poli avec eux. Ils ont bénéficié d'une assistance médicale permanente, d'une permanence syndicale et de permanentes effectuées par un coiffeur en permanence sur le clavier jusqu'au bouclage du texte.
-Au troisième paragraphe, la répétition des furent n'est pas maladroite, elle est volontaire. Il s'agit de poser le décor d'un film américain d'aventures préhistoriques avec beaucoup de furs. Je me débrouille comme je peux, je n'ai pas les moyens de Spielberg.
-L'utilisation exagérée de vocabulaire basque à un certain passage pourra agacer le lecteur. Mais je sens un fantôme attaché à mes basques et je ne souhaite pas le contrarier une fois de plus. Ayant repris le travail, il n'est pas aussi facile pour moi de protéger Francis que pendant les vacances.
-Il n'y a pas de couleur verte dans ce message. Il n'y a aucune raison pour qu'il y en ait.