samedi 2 décembre 2017

Bricoles : 010


Beaucoup d’animaux effrayants possèdent trop de membres ou pas assez. Un bon dosage de ceux-ci semble important pour attirer la sympathie. Pourtant inoffensives, la couleuvre et la tégénaire font fuir bien des canailles alors que ces mêmes petites frappes chatouillent sans répulsion le ventre du rottweiler qui leur tend la patte. Le jeune enfant, initié très tôt par des parents inconscients à l'iconographie léonine et à la statuaire pelucheuse des ours, armé d'une foi digne d'un martyr chrétien des premiers siècles, sera disposé à se jeter pleinement croyant et tout cru sous les griffes des grands prédateurs incarcérés dans les ménageries et les zoos, tandis qu'il persécutera, mutilera et brûlera vifs tous les insectes vaguement kafkaïens à portée de mimine qui menaient leurs vies placides d'hexapodes en allant leur petit bonhomme de chemin. Cela est clair comme deux et deux font quatre, il faut ce qu'il faut, rien de plus, rien de moins. Cette dure loi arithmétique présente pourtant des contre-exemples qui restent, somme toute, mystérieux : la souris suscite la terreur chez nombre de femmes ; la coccinelle provoque toujours un attendrissement béat ; l'huître et la langouste sont les bienvenues dans les banquets ; le mille-pattes laisse indifférent.

dimanche 19 novembre 2017

Bricoles : 009


De l'oie blanche à la veuve noire, elle épousait toutes les couleurs du spectre féminin, des vertes et des pas mûres. La tentation était une machine célibataire à laquelle les chrétiens étaient soumis, ils y succombaient tous tôt ou tard selon leurs horaires de travail. Il n'y avait pas moyen d'avoir le dessus même pour un missionnaire. Elle était graisseuse et ointe, attirante et repoussante à la fois. La rouerie de ses rouages était connue et ignorée. Dieu merci, cette géhenne déplaisante tire à sa fin. À partir de décembre illuminé, ça s'enfilera comme les moufles du Père Noël. Ce sera une chose délicieuse et moite dans laquelle ils pourront entrer, sortir, entrer à nouveau, ressortir, ad vitam æternam. Oui, oui, oui, mille fois oui, je me sens autant convertible qu'un canapé dans un bordel étroit. Notre père qui descend brutalement d'un mammifère arboricole machiste, que ton gnon soit tuméfié, suspends encore ton fils Tarzan dans les branches croisées si tu crois vraiment que ce n'est pas du bois mort, et continue donc avec tes primats de chercher des poux dans la tête des chérubins mais ne caresse plus l'espoir de leur entrejambe glabre.
Version A for men, called "Amen".

dimanche 5 novembre 2017

Bricoles : 008












Il était une fois une reine aigrie répandant sans cesse autour d'elle une odeur de ris de veau et de champignons de Paris qui maintenait ses courtisans à distance respectable. Elle se nourrissait essentiellement des bouchées à la reine qui lui étaient toujours servies. C'était l'étiquette à la cour, le prix à payer pour se régaler sur le dos du peuple avec une nappe brodée et des couverts en argent, et comme son maître d’hôtel était pointilleux il mettait les bouchées doubles. Sur ordre du grand apothicaire préposé à la royale santé, son cuisinier privé allait jusqu'à retirer le jaune des œufs pour que la recette respectât le principe salutaire des blanc-mangers médiévaux. Fatiguée de ce régime, elle s'enfuit un beau jour ‒ la pluie l'aurait freinée dans les prés à la recherche de haricots princesse et de pommes dauphine qui lui rappelleraient sa jeunesse, mais ce n'était plus la saison. Un paysan empli de mauvais cidre et de fausse compassion lui proposa une pomme de reinette qu'elle dédaigna, se prenant pour une grande reine. Le paysan vexé en vérité un enchanteur voyageant incognito lui jeta un hareng qui ne sentait rien de bon et un sort qui la métamorphosa en rainette. Depuis cette lamentable aventure indigne d'un conte qui se voudrait inventif, notre grenouille accomplie gobait des insectes répugnants et bondissait dans la vase des étangs. Elle coassait parmi nénuphars et nymphéas, frayait sans entrave et ne s'en portait pas plus mal. La morale de cette histoire n'est pas celle qui se précipite à l'esprit du lecteur comme la solution dans une fiole jaugée. Considérons seulement que les magiciens d'alors étaient plus alchimistes que psychologues. Ils ne maîtrisaient pas encore le secret de la poudre freudienne qui percerait un jour les épaisses murailles des cerveaux. Les trônes de fer et les chaises curules représentaient la norme sous les voûtes des châteaux, ils étaient peu confortables et prédisposaient moins à la confidence que les divans des Turcs.

lundi 30 octobre 2017

Bricoles : 007


Bien que des tas de choses l'inquiétassent, les amas de poussière la ménageaient : elle n'était pas à cheval sur le balai, la crasse lui avait donné un long congé sabbatique. La suie centenaire de la cheminée à corbeaux ne suffisait pas à empuantir son bouge familier où plus rien ne bougeait. Il aurait fallu qu'elle crevât sur sa paillasse le premier du mois, sans appeler le quinze, parachevant l'atmosphère vers le trente. "Se ronger les sangs pour quatre-vingts broutilles reste vain" se répétait-elle constamment pour que cette évidence arithmétique lui pénétrât le crâne comme une cuillère dans un potiron. Sa pouffiasse d'existence était aussi laide qu'une chaudronnée de subjonctifs imparfaits. Elle avait fumé sa vie avec des philtres et ses dents jaunies en annulaient les effets. Elle n'avait jamais supporté les enfants, ses comprimés de mioches lui restaient sur l'estomac même si elle remplaçait le benzoate de sodium par de la bave de crapaud. Demain elle sortirait sans se maquiller.

samedi 28 octobre 2017

Bricoles : 006


En autoéditant son énorme guide illustré sur les économies de bouts de chandelle intitulé Pratique du souffle court et aujourd'hui épuisé, il pensait devenir un phare de la lutte contre le gaspillage, péchant par vanité et par simonie. Il y parvint en partie car ses lecteurs furent nombreux. Mais la plupart d'entre eux se prêtèrent les uns aux autres les rares exemplaires écoulés, mettant ainsi en pratique des conseils qu'ils n'avaient pas encore lus et qui s'étaient répandus de bouche à oreille l'oreille ça ne mangeait pas de pain, c'était bien connu. La bonne parole circula sans rapporter un rond. Quel mauvais tour lui jouait-on là ? Avec le maigre pécule de cette affaire, notre apôtre dépité s'offrit un compacteur de bûches. Le papier des piles d'invendus ajouté à l'eau où était tombée son entreprise lui donna quelques briquettes amères. Qu'il en fît un feu de joie serait beaucoup dire, bien qu'il n'y ait pas de petites victoires.

mercredi 25 octobre 2017

Bricoles : 005


L'homme de Néandertal fleurissait-il ses tombes ? Les théories divergent à ce sujet. S'il avait survécu jusqu’à notre époque, il aurait probablement acquis cette habitude s'il ne la possédait pas déjà et nettoierait aussi les abords au glyphosate avant la Toussaint. N'en faisons pas une victime rousseauiste, il ne valait pas mieux que nous. Par ailleurs, si vous vous égarez aveuglés par les feux de l'actualité à oublier l'acception première du mot "rousseauiste", considérez bien que l'hypothèse d'une hybridation entre nos deux lignées ne laisse rien augurer des termes des galipettes et autres fricotages tels qu'ils auraient pu être pratiqués au Paléolithique. Ne tirons pas de conclusions hâtives.

dimanche 22 octobre 2017

Bricoles : 004























Autrefois, les personnes âgées paraissaient plus réservées sans pour autant vivre dans un territoire particulier avec des parures de plumes colorées et des vestes à franges. Elles s'habillaient souvent d'uniformes sombres et lâches leur allant si bien qu'elles semblaient porter leur âge tout simplement sur les gradins de la pyramide que nous occupions ensemble. Il y avait là un contrepoint naturel à la témérité joviale de la jeunesse. Nous sentions qu'elles gardaient par devers elles un secret séculaire que notre modernité retorse a enfoui plus profond encore par un artifice puissamment poesque qui consiste à montrer ce que l'on veut cacher. Aujourd'hui, nous croisons d'antiques loups de mer en petit bateau, coiffés d'un petit chaperon, qui affabulent au sujet de la qualité turgescente de ce qui fut longtemps leur principal gouvernail. Ils passeraient aisément pour des adolescents grimés si nous voulions bien oublier un instant leur démarche peu assurée, quelquefois dramatique. Ceux qui sont encore en forme et souhaitent la conserver exécutent chaudement des gambades et courent en tenue fluorescente sur les trottoirs et le long des routes, comme seuls couraient jadis les petits garçons en culotte courte. De toute mon enfance, je n'ai jamais vu le moindre adulte cavaler de la sorte sans être réduit à des extrémités de fuite ou de secours afférentes à un grand danger, il est vrai que les catastrophes ne couraient pas les rues à la campagne pendant mes douze premières Glorieuses, que les rares attentats y étaient moins pudiques, qu'un état d'urgence impliquait seulement un repli stratégique vers le cabanon au fond du jardin. Je suis également intrigué ‒ un honnête souci de parité m'y incitant par ces grand-mères en jupette d’anorexique médiatisée, des nuages numériques plein la tête, le smartphone à la main et les jambes en poteaux télégraphiques, vivantes coupes archéologiques révélant en une superposition de couches les différentes ères des technologies promotrices de leur incontinence verbale. La vieille dame préceptrice de Babar, qui avait le pouvoir discrétionnaire de commander aux éléphants, en imposait plus que ces funambules jusqu’au-boutistes. À l'instar des cercueils de sécurité qui hantèrent tant le XIXe siècle et dont les clochettes ne réagirent à rien d'autre qu'aux tempêtes et aux tremblements de terre, faudra-t-il bientôt embarquer une connexion forfaitaire illimitée lors de notre dernier voyage ? 

jeudi 19 octobre 2017

Bricoles : 003


Bonjour. Une question bête de Mme Farmer : si je n'ai pas de porc, puis-je balancer mon vieux bouc ? 

Bonjour. Je suis musulmane, végane et nymphomane. Je possède également un âne. Que me conseillez-vous ?

Bonjour. C'est déjà difficile avec mon loup, ma chèvre et mon chou. Si je dois aussi balancer mon porc omnivore, ce sera insoluble. Vous comprenez ?

Bonjour. Comme ce sont toujours les filles sur le siège et toujours les garçons qui poussent, dois-je balancer ma balançoire ?

Bonjour. Je proposerais "balance ton sanglier" qui donne un petit côté plus sauvage, si vous me suivez.

Bonjour. Halte au harcèlement téléphonique : balance ton port !

Bonjour. Tu les as dans la peau, ils veulent te la trouer, et ça te fait suer : balance tes pores !

Bonjour. Le conseiller financier de Keira Knightley se serait-il montré entreprenant ? Aurait-il troussé sa robe* en jersey, lui promettant le paradis en échange d'un peu d'enfer déplacé ? Balance comptable ?                                                              (*voir l'étymologie de robe.)

Bonjour. Qu'attendons-nous pour balancer aussi les morts ? Se faire adapter par Polanski est un crime imprescriptible : balance Topor !

Bonjour. Il a interprété Dracula, Jack l’Éventreur et Voltan le barbare dans d'immondes navets sexistes : Palance Jack !

Bonjour. J'apprends dans sa biographie qu'il avait un caractère emporté et des manières rustiques. Ce sont là deux tares qui ne pèsent guère en sa faveur, deux fléaux dans un monde où la femme était servie sur un plateau : balance Roberval !

Bonjour. Lire Céline ne m'a jamais posé grand problème, j'ai apprécié le Journal d'un tueur de Schaefer, mais je n'ai pas aimé du tout Mein Kampf que j'ai trouvé fort mal écrit. Alors laissez-moi rire, je continuerai de regarder les stand-ups de Louis C.K. pour autant qu'on le laisse fourbir son talent : balance tes scrupules !

dimanche 15 octobre 2017

Bricoles : 002


Je fuis ces promeneurs du dimanche, ces cousins éloignés, ces retraités désœuvrés qui, pour tromper leur ennui, viennent me rendre visite et n'arrivent qu'à me communiquer le leur. Pour ne pas les rencontrer, je traîne hors de chez moi et en profite pour rendre quelques politesses. Leurs cafés valent le mien, nos conversations sont périmées mais leurs pâtisseries restent correctes. Si je ne me retenais, je balancerais plus volontiers une vacherie bien sentie qu'un de leurs vacherins.

samedi 14 octobre 2017

Bricoles : 001


Les patriotes nostalgiques préfèrent leur automne plus vieux à l'été indien. Incurie des frontières, fuite des nuages et retour des tenues légères épicent leurs mornes plaintes, leurs brèves de comptoir : Pondichéry, Chandernagor, blablabla...