mardi 29 avril 2014

Un peu de ma correspondance


















Cher fils,
Hier soir, j'ai regardé La Vie d'Adèle ― Chapitres 1 et 2 (Blue is the Warmest Colour). Comme je le pensais, ce film est effectivement beaucoup mieux que La Graine et le Mulet du même réalisateur, il n'y a pas photo (ah ! ah !). Léa Seydoux en lesbienne virile, c'est un peu plus subtil que Josiane Balasko autrefois. Cette gamine au visage de pucelle préraphaélite, que je voyais si féminine dans ses autres rôles, m'époustoufle de plus en plus. Jusqu'où ira t-elle après ça ? L'autre, Adèle jouant Adèle, que je découvre, m'inspire moins confiance. Si ce personnage est fait pour elle, du sur-mesure flagrant, percer ensuite avec autre chose lui sera plus difficile. Mirettes de chien battu et quenottes de lapin vont la coincer dans un répertoire de victimes, et son très beau cul ne suffira pas à la sortir des collets qui lui seront tendus.
J'ai trouvé le film assez futé, soufflant de la poudre aux yeux de Christine Boutin. Dans cette histoire d'amour, l'homosexualité mise en avant par la critique et les médias n'a que peu d'importance. Elle est banalisée et admise par à peu près tous les personnages, y compris par ceux qui ne savent pas ; rien ne laisse supposer le contraire. Les parents d'Adèle, à qui la chose est cachée, intéressent peu Kechiche. On ne saura donc pas par la suite s'ils l'auront bien pris quand leur fille majeure et moins chaperonnée se sera mise en ménage avec sa belle gouine aux dents de loup, et l'on s'en fout un peu, le vrai sujet du film étant ailleurs.
Ce qui motive l'examen approfondi de cette passion somme toute anecdotique entre deux femmes, c'est la fracture culturelle qui se superpose à une fracture sociale légère, un peu douce (on n'est pas dans le gouffre lillois opposant les deux familles du Long Fleuve Tranquille). Entre les succulentes pâtes maison à la bolognaise et les huitres de chez un traiteur branché, entre un gagne-pain rassurant d'institutrice et la navigation à vue du statut d'artiste peintre, entre un parler fruste, souvent fait de négations devant les crimes découverts, et les discours flûtés bien qu'un peu creux sur l'art de Schiele mesuré à celui de Klimt, entre Questions pour un Champion en fond sonore et la Loulou de Pabst projetée sur écran nonchalant, tout est là qui montre pourquoi ces deux filles ne finiront pas leurs vies ensemble. Ce conte initiatique d'un torchon chez une serviette est impitoyable.
Quant aux scènes de bidoche claquée, pincée et enduite de salive qui ponctuent la relation d’Emma et d'Adèle, elles sont assez plaisantes à l’œil, et aussi goulues, pulpeuses et charnues que les nues peintes ou sculptées qu'elles contemplent ensemble à la Piscine de Roubaix.
Donc, même si ce n'est pas le chef-d’œuvre que tu prétends, j'ai passé un agréable moment devant ce film de trois heures qui ne m'a pas paru trop long une seule seconde. Je te remercie de me l'avoir conseillé. Cependant une chose m'intrigue : toi qui affirmais naguère être ennuyé par les histoires d'amour, je suis un peu surpris de ton engouement pour celle-ci. Mais peut-être as-tu commencé ton propre Bildungsroman.

jeudi 17 avril 2014

Rêve et crime éroticologiques

Ah ! cultiver les Charlotte, les Amandine en plein Paris
(un pari insensé),
et les voir porter les petites robes des Champs.
Mon Arc serait bandé de joie,
Monarque papillonnant parmi toute cette soie,
Doryphore brandissant ma lance.
Ne pas oublier de les butter,
puis me faire épingler de nuit
avec ma binette dans le journal.
Me réveiller dans mon propre mitard.
Assez tôt, vers midi, y repenser.
Travailler, et publier le soir,
avant minuit, obligatoire.

mardi 15 avril 2014

Ô raison

Elle voulait toujours avoir raison. C'est ainsi que cette fois-là, réalisant que j'avais raison de lui donner raison, elle voulut très fort avoir tort. Mais sa nature reprit le dessus. Elle se contenta donc de me donner tort de lui donner raison. Quand je reconnus qu'elle avait bien raison sur ce point, elle tenta une dernière pirouette, s'emmêla les pinceaux innombrables lui tapissant la langue, et se tordit une des chevilles qui les articulent. Moi, le seul raisonnable, je me portai à son secours. Ta raison à toi est enchevêtrée dans la trahison, lui dis-je, tes haches aussi. Les haches de toutes les histoires que tu fais pour me hacher menu et me transformer en steak soumis, bien cuit et pas sashimi pour un sou. Tu ne réaliseras ton rêve de puissance² qu'en renonçant à le fantasmer. Tu dois extraire de toi le chiendent qui te pousse, la racine qui t'obstine carrément. Je te le dis sincèrement, moi qui suis translucide comme le riz revenu, qui suis homme à ne pas partir. Aucun rhizome là-dessous pour secréter la malice dont je suis dépourvu. Moi qui suis si conciliant, qui ai toujours recherché la paix, et qui veux qu’un jour on m'enterre comme une hache de guerre, ultime ruse de Sioux. Ces mots-là claquant à la porte de ses oreilles, les derniers qui parvinrent à son entendement, furent le déclic de sa fin. Abandonnant toute raison, se rendant à la mienne, elle s'immola sur le tranchant de mes petites phrases qui tuent, simulant un suicide qui, j'en ai bien peur, n'était en fait qu'un assassinat.
Six mollahs m'écoutent à présent au pied du catafalque, attentifs et garants qu'elle n'ait pas rebondi trop durement dans une autre vie. À ce que je crois, elle en dispose de neuf. J'ai eu beau lui régler son compte, quant à savoir où elle en est dans ses dépenses, je donne ma langue au chat.

vendredi 4 avril 2014

Troubles multiples, confusions certaines


Jean Léon Henri Gouweloos (1865-1943), École Belge.

Belle ondine dénudée devant les nénuphars,
en toi les tritons, troublés, tombent dans les pommes.
Les rainettes un peu connes, s'abusant, piquent un fard,
pendant que le gardien, aussi niais, pique un somme.

La ville d'Amiens, demeurée, crie et dépose plainte.
Le carreleur, faute d'avocat, y perd le nord.
À son tour, Lille perdant la bataille, tombe enceinte.
Mais c'est toi, belle ondine, qui recueilles le trésor.