mardi 24 juillet 2012

Les partants

Nous partîmes par temps froid, Tim et moi, nos manteaux boutonnés par dessus de gros chandails à côtes perlées et à fermeture éclair, raillés jusqu'au cou. Avant même de les enfiler, nous pouffions déjà à la simple idée de ces épaisseurs ridicules qui nous feraient des silhouettes de gros poufs. Mais Hélène nous avait tricoté la maille double avec tant d'amour et de laine, que nous n'osâmes nous fendre, nous plier franchement dans ces effets comiques, riant sous cape en retenant la lame qui ne devait pas dépasser le niveau de nos glottes, précisément là où s'arrêtait la laine, avant que nos éclats fussent hors de portée de ses oreilles à ne pas cribler. La vague, pourtant, risquait à tout moment de se lâcher directement à travers nos côtes incapables d'endiguer bien longtemps le flot de moquerie qui ne manquerait pas de lécher, salivant sous le vent, le lobe vierge de perles de ses portugaises ouvertes sur notre monde, ce qu'elle en connaissait, c'est-à-dire nous et la manifestation de nos sentiments jaillissants et autres éruptions, diverses viscosités de lave et explosions des boutons d'acmé, pavés dans la Mare Nostrum, plouf ! En pleine Mer Égée, son point G. Notre colombe ignorait l'océan athlétique et ne cherchait pas les individus mieux pourvus que nous, pourvu que nous assurassions sa ration quotidienne de plaisir. Hélène se trimbalait un petit poids dans la tête qui la rendait belle, légère et ruineuse. Elle avait le pied grec et jusqu'à l'aine parfumée, jusquiame et fenugrec, des senteurs de décombres qui nous coûtaient chair et nous augmentaient le concombre, à moi et Tim, assez intimes pour se la partager. Nous étions, Tim et moi, fous d'Hélène, en émoi devant elle, derrière aussi. Nous la prenions en sandwich, comprimée, et ça restait entre nous les cornichons, la mayonnaise, la tranche de vie. Cette fois-là, nous la prîmes comme on prend le bus, pour aller ici ou là où elle nous dit de venir, Tim au rez, moi à l'étage, moins timide, ou l'inverse, peu importe. Nous partîmes dans tous les sens, tourniquets d'arrosage tournoyants au-dessus de la pelouse d'Hélène, ce qui restait d'elle, ce boulingrin en friche, en attente de tonte, abandonné par la chercheuse qui nous avait lâchés, pressée de se ruer vers l'orgasme, à l'ouest. Pendant que nous, les garçons moites, moi et Tim, nous retrouvâmes plus intimes encore, nez à nez, corps à corps, face à face, deux tranches de gros pain, ami ami, la garniture envolée, aimant en l’absence, emmental dont il ne resta que les trous dont nous usâmes à travers elle. Hélène revint quelques secondes après nos départs moins précoces et très synchronisés. Nous la croisâmes, Tim et moi, ultime émoi, sur les derniers centimètres de la route défoncée de l'extase, nous saluant depuis l'autre voie, ses menottes s'agitant au rythme des essuie-glaces qui volèrent la vedette au volant complètement lâché. Il avait plu dru, la chaussée était détrempée, nos  véhicules décapotés effectuèrent des tête-à-queue virtuoses, négociant le demi-tour pour rejoindre la voyageuse sur le retour, la baladeuse à l'ampoule vacillante. Nous rentrâmes ensemble à la maison, apaisés pour le moment, détumescents et mous, Tim et moi, Hélène aussi. Le temps se rafraîchit, nous renfilâmes nos épais pulls que l'aventure mouvementée nous avait fait quitter, ayant sué comme des pitbulls pendant la rage. À peine restaurés d'une louche de soupe et d'une douche de soap, nous montrions déjà les dents devant la glace de la salle de bain. Manche en main, nous astiquions, une mise en bouche pour un lendemain éclatant. Nous serions bientôt prêts pour un nouvel appareillage.