dimanche 17 mars 2013

Harry Clover

 
Harry, le mari de Madame Clover du Club des Mammifères Papivores, pense que le papier est un truc à chier, au bout du rouleau, une matière ancienne perdurant seulement au mur des toilettes sous la forme du volumen, et qui n'a même pas su évoluer vers le codex à la fin de l'Antiquité. Pourtant, assis sur son trône, il aurait apprécié déchirer, d'un petit cahier relié et parfumé à la violette, les quelques feuilles nécessaires à son usage, avant de passer à l'inconfort du numérique. La transition en aurait été moins brutale, l'angle de la tablette moins contondant. Mais il a confiance en un avenir qui ne va pas le laisser dans la merde bien longtemps. D'ici peu, l'ardoise va se réduire, s'affiner, s'assouplir, se tordre, se froisser, et dissiper ses derniers doutes en même temps que les petits amas séchés qui calfatent les anfractuosités de ses marisques et bétonnent la pilosité de son fondement. Croyez-le, chers amis, l'affaire sera vite torchée. Cette Emma above Harry va en rabattre. Ne vient-elle pas de jouer son ultime atout ? Un as de trèfle assez mince pour être glissé sous la porte.

samedi 9 mars 2013

Jeter un froid

Le dieu du froid Samsung enleva la princesse du givre, alors qu'elle dansait au bord de l'eau, toute pleine d'humidité

L'autre tempérait de plus en plus sa production de froid. Après cinq siècles de bons et frileux services, son petit âge glaciaire s'achevait. Il prenait de la bouteille qui restait tiède. Les bactéries des yaourts dépassaient les bornes. Le stockage des denrées y présentait de grands dangers dépourvus de tous frissons, si bien que l'aventure perdait beaucoup de son charme. Conserver des carottes râpées dans ce four à 10°C m'exposait à un sérieux dérapage sur la piste de ma vie. C'était un Vedette qui ne remplissait plus son rôle, et il était temps pour lui de rejoindre les étoiles au firmament, là où brille la grande roue du recyclage. Je lui présentai la chose ainsi, frisant l'angélisme, enjolivant le truc. Mais comment lui dire la vérité sur la déchèterie sans sombrer dans la religion ? Je n'ai pas pu. Mon vieux compagnon est parti, après un arrêt du compresseur, dans la camionnette du livreur qui m'apporta son successeur. Le fRoi est mort, vive le fRoi !
Je me suis donc équipé d'un frigo Samsung à technologie No Frost. Il faut entendre par là un appareil à froid ventilé. La traduction littérale du terme anglais nous prévient de façon péremptoire qu'aucun givre ne dégradera jamais la case de congélation. Toute cette affaire est à prendre au sérieux et mérite examen. Trois jours après leur fabrication suivie d'un démoulage parfait sans accroc ni adhérence, les icecubes en vrac ne collent toujours pas entre eux, ils s'ignorent royalement. Leur promiscuité n'y fait rien. De vrais glaçons ! Je les secoue dans leur petite barquette et ils tintent comme des émeraudes effarouchées imitant le bruit des briques de Lego dans une tentative désespérée de camouflage mimétique.
Dans la partie réfrigérateur, les aliments semblent accablés d'une pudeur étrange. Je dois les couvrir de film alimentaire protecteur bien que transparent, afin de leur éviter un dessèchement fatal provoqué par le climat particulier qui règne dans leur contrée : un froid aride et dépourvu de toute humidité. Cette précaution prise, ils se conservent trois fois plus longtemps que dans les conditions d'une normale et bête exposition au froid statique et suintant des anciens frigos, à l'image de ces centenaires des régions caucasiennes présentant une fraîcheur de teint que contredit pourtant leur âge avancé. L'air y est très sain, un peu montagnard, même le camembert s'y complaît et s'y abstient de son odeur habituelle.
Tout cela semble augurer de substantielles économies dans la gestion de mon garde-manger, de par l'absence de précipitation qui adviendra quant à finir les reliefs faisant trop souvent saillie sur ma table de célibataire à la voracité certaine que ne contient plus aucune main féminine. À défaut de maîtresse, ce frigo m'assurant de la longévité de mes restes me retiendra de vouloir les achever trop vite, j'y gagnerai assurément sur divers plans. Richesse et santé me profiteront, et la boursoufflure de mon estomac s'inversera proportionnellement à celle de ma bourse. Le ragoût de cheval me fera cinq jours contre deux, je prends les paris. Les fromages ralentiront leur croissance inéluctable vers la mort et ses asticots, le nombre de leurs portions augmentera en conséquence. Les sardines graciées passeront une nuit supplémentaire dans leur tôle entamée et soigneusement filmée. J'y prendrai goût. Je m'équiperai de raviers en plastique pourvus de couvercles hermétiques. J'irai à des réunions Tupperware ésotériques. J'y rencontrerai des femmes obsédées par le polyéthylène et le sexe sécurisé. Leurs conversations seront très portées sur la conservation : pour ne rien vous cacher, les franches-maçonnes n'aiment pas gâcher. Un peu effrayé par la perspective de sentir mon saucisson emballé dans du film étirable, je n'irai plus aux réunions, je déserterai leurs tenues, leurs grand-messes. Après tout, il y a dans le commerce des boîtes aussi solides qui me reviendront à moins cher, ne coûtant que le prix de ma liberté, nettement moins élevé que la rançon d'un roi. À vrai dire, personne ne me retient.