dimanche 30 mars 2014

Cingler le printemps

Χρόνος s'étant livré la nuit dernière à quelques menus travaux d'aiguilles dans le tissu moiré du temps, nous sommes donc condamnés à chercher midi à quatorze heures jusqu'au dernier samedi d'octobre. Ainsi, le démon de midi, s'il ose pointer le bout de sa queue, ne me damnera pas avant quatorze heures. Autant de gagné pour toutes les intéressées : cent-vingt minutes de répit aux yeux des filles à la taille de sablier bronzant sur cette plage horaire. Si nous vivions à l'heure solaire, ç'aurait été quarante injonctions d'aller me faire cuire un œuf à la coque. Cette mise en quarantaine m'indiffère, moi qui ai déjà doublé ce cap dans mon petit bateau, les couilles au large. Je suis actuellement dans ma cinquantaine à Saint-Quentin, selon la formule de Jacques Bens, et je ne m'y sens pas très à l'aise, cherchant vainement à savoir s'il s'agit de la sous-préfecture de l'Aisne ou de la prison en Californie. Peut-être n'y a t-il aucune solution à cette énigme, les deux planques étant aussi sinistres l'une que l'autre, des villégiatures peu appréciées, du moins pour l'une si l'on repart en quatorze.
Mais cessons de nous apitoyer sur mon sort en sortant le nez ici où le temps se fait. Le soleil est là, la lune on s'en branle. Déjà, des rayons de miel chauffé, perçant un ciel voilé comme une iranienne, semblent prometteurs d'un beau printemps. Déjà les abeilles et les hippopotames s'éveillent, fragiles encore. La fenêtre de la salle de bains est sur le qui-vive, après sa formation accélérée de close combat à Beyrouth. Elle peut compter sur moi, je suis aux anges et l'épaulerai sur l'aile gauche. La potion de vitamine C, de magnésium, d'anti-mousse et de lettres anonymes que je m'envoie chaque matin commence à faire son effet. Hier, je me suis écrit que j'irai mieux aujourd'hui. Comme d'habitude, ce n'était pas signé mais je me suis reconnu grâce à mon style inimitable. Résultat des courses : c'est un peu gagné, et j'ai très envie d'une canicule tout de suite, que l'astre du jour se fasse péter la ruche. Après tous ces étés en demi-teinte, si peu rois-soleil, je veux l’œuf dur à Pâques et le bifteck saignant à l’Ascension. Il y va de la liberté de notre démocratie : si les ventilateurs chromés suréquipant depuis deux lustres le quatrième âge ne sont pas rentabilisés sur-le-champ, le Front Néandertalien, prochainement au pouvoir, a projet de les recycler en drones pour surveiller la jeunesse qui rappe sur les banquises périphériques, et se les claque en anoraks doublés de fourrure d'ours blacks. Bon cheval, j'arrête ici mon char céleste.  

dimanche 23 mars 2014

Les dangers de la lecture

Nous pouvons dire d'un livre que c'est un excellent bouquin ou un mauvais bouquin. Cette formule magique pour émettre un avis tranché ne nous pose pas problème. Un sésame en somme, une graine qui fera germer l'envie d'ouvrir ou non l'entrée qui n'est pas la sortie de la caverne de Platon ni celle de Saramago. Ali Baba on s'en branle, quarante éditeurs suffisent. Mais rien de plus agaçant que l'accusation de bouquiner. Bouquiner c'est criminel, ça tue la lecture. Bouquiner n'est pas lire. Lire est une passion, une vocation, une drogue dure, un travail, un gouffre dont nous revenons abîmés, de la suie des pages soulignant notre regard comme un eye-liner, le casque cabossé et la lanterne éteinte d'avoir trop lui vers lui l'auteur. Bouquiner c'est aller à la pêche le dimanche, effleurer des pages détruites d'avance, du broché, jeter un œil voire deux (un troisième serait le bon), occuper l'ennui de ceux que n'avoir rien d'autre à faire terrorise. Bouquiner c'est bon pour les magazines maudits et quatre-vingt-dix pour cent des romans policiers. Bouquiner c'est survoler un paysage qui restera caché à moins d'être totalement plat, c'est souhaiter que l'avion ne s'écrase pas, même en Belgique, qu'un pilote à la témérité grippée reste agrippé aux commandes. Bouquiner c'est rester bouc pour qui la lecture rend chèvre. Bouquiner c'est rester kiné quand le corps du livre appelle à la sexualité. Tant de gens se mettent au lit avec un bon bouquin dans l'espoir d'y trouver le sommeil, alors que la vraie lecture réveille l’esprit. Vouloir se détendre avec un vrai livre relève de l'oxymore, autant prétendre se désaltérer avec un whisky. La grosse masse des lecteurs fonctionne à la flotte et n'entend plus rien à la littérature : on voit même des gens lettrés, c'est-à-dire issus des facultés et exerçant des professions libérales, caler devant le moindre roman un peu complexe, un peu prétentieux, un peu revêche, se rebiffer dès que la phrase n'expose plus simplement les faits, les sentiments et les idées à la manière des quotidiens ou des dictionnaires qu'ils consultent fébrilement, sentant un monde leur échapper entre les lignes où il n'y a jamais rien eu, où il n'y aura jamais rien parce que, bordel, tout est là sous leurs yeux, noir sur blanc, les ombres projetées sur le papier rocher, pas de cadeau et rien d'autre qui permette de faire autrement qu'avec ça, ni âne, ni bœuf, ni sauveur. Bouquiner c'est se résigner aux journalistes historiques, comme en peinture on se résigne aux figuratifs, et adieu le courant de conscience qui ne ruissellera pas entre les plaques tectoniques de la boîte crânienne d'un lecteur trop terre-à-terre. Trouver un roman bien écrit tel un tableau bien peint est grotesque, il faut le trouver bien lu. Et s'il est long, il faut le trouver tout court. N'ajoutons rien.