lundi 26 septembre 2016

*Ghorto 14



















Il pleut à la fois les cordes de nos rêves d'évasions et les hallebardes de nos gardiens ; nous nous sentons tiraillés sous cette mitraillade liquide.

Le vent nous souffle une réplique de la tempête, nous piégeant dans un feedback shakespearien : de grands flashs illuminent la scène de nos vies si courtes en déchirant l'étoffe du ciel.

Les éléments sont déchaînés, cet état ne nous est pas permis à nous autres prisonniers.

La montée des eaux plonge la maigre Élise dans un profond désarroi : trop de bouillon pour la soupe et pas assez de viande.

Harpagon, qui a appris à nager le crawl dans un coffre-fort, tombe à pic en coulant à pic : il repêche sa fille in extremis.

Knock embrasse Élise sur la bouche et lui pétrit les seins : le travail du secouriste rachète le repos du guerrier.

L'orage s'éloigne ; d'un arc-en-ciel, il tire ses dernières flèches ; Jupiter n'étant guère accoutumé au maniement de cette arme, Cupidon l'épaule.

Notre camp a été battu par les flots mais n'a pas sombré : voilà une nouvelle capitale !

Mes chaussettes sont humides, je n'ai rien d'une archiduchesse ; le dégât des eaux nous retire toute noblesse, je me sens boueux.

Criant au miracle, le prétendu abbé Faria refuse de quitter sa baignoire funèbre avant d'être curé à fond ; sortant de sa réserve, le directeur lui passe un savon ; je serais curieux d'explorer la datcha de ce privilégié...

lundi 19 septembre 2016

*Ghorto 13





















Au moment d'entamer la treizième page de ce carnet de prison, l'inspiration me manque ; je m'accorde une certaine indulgence en considérant que la panne sèche est excusable au cours d'une pénurie d'eau.

De plus, ayant pris l'habitude de couper l'encre pour la faire durer ‒ n'oubliez pas que nous manquons de tout ‒, mon urine ne sent guère la prose.

En dernier recours, le bourreau Knock exécute une danse de la pluie sur un large billot de chêne : Knock on wood !

De concert, Harpagon psalmodie une supplication pour être payé en liquide.

Élise, qui a la musique dans la peau, se flagelle avec un batteur à manivelle à double fouet : un bourdon digne des meilleures vielles à roue fait que la mayonnaise prend.

Le ciel peut crever ! que lui ai-je donc fait pour mériter la compagnie de pareils bigots, moi, Przewalski, qui ne suis pourtant pas un mauvais cheval ?

Le travail ne me fait pas peur : bien au contraire, il me donne des crises de fous rires qui m'empêchent de l'accomplir.

J'ai toujours respecté la famille : je n'ai jamais tenté mes tantes, ni déniaisé mes nièces.

La patrie peut compter sur moi : je la défendrai jusqu'au premier sang, celui du coup de canif dans notre contrat social.

Le désespoir a convaincu le prétendu abbé Faria de creuser sa propre tombe ; soudain, l’œil sec du gisant reçoit une larme de cumulonimbus, collyre divin ; bientôt, il prend son bain...

lundi 12 septembre 2016

*Ghorto 12






















J'ai l'intuition que nous ne regagnerons jamais la prison rénovée ; pour prolonger notre séjour dans ce camp, le directeur a invoqué un motif qui n'était que du vent : beau temps, mon cul !

Peut-être sommes-nous assujettis à une expérience scientifique ou sociologique, voire, qui sait, littéraire : de doctes veilleurs épiant nos faits et gestes depuis leur affût panoptique, la plume à la main et le ramage où vous voudrez.

Notre stock d'eau potable s'est réduit à deux ou trois pots de chagrin ; on parle de monter une expédition à la recherche d'une grande rivière qui conduira à un petit ruisseau : pour obtenir peu, il faut demander beaucoup.

En attendant, la distribution est limitée à cinquante centilitres par jour et par personne ; cette restriction nous pèse, nous aurions aimé pouvoir passer outre.

Mais le directeur nous serre la vis, bien que ce soit habituellement le travail des bourreaux chacun leur tour.

Le détenu Averell Dalton, toujours inquiet des heures des repas, boirait bien sa clepsydre s'il en possédait une ; cet abruti se demande où est passée l'eau des sachets de soupe déshydratée.

Pour une raison évidente, Knock a reçu l'interdiction de pratiquer la cure par l'eau ; cela m'arrange : à chaque fois, je perdais très vite contenance.

La patience des brutes est un métier proche de la cuisson des steaks : tout vient à point à qui sait attendre en faisant l'économie de bleus inélégants et d'affreux saignements ; Harpagon est satisfait, sa fille s'est enfin mise à la flûte.

Faute de farine et d'eau, les baguettes d'Élise se font de plus en plus fines et dures ; nos ventres résonnent comme la peau d'un tambour.

Le prétendu abbé Faria a toujours eu bonne pioche ; il saura mettre le sol en perce, pour peu qu'une source mijote là-dessous...

lundi 5 septembre 2016

*Ghorto 11























Le regard entre les barreaux vaut pour la liberté ce que la lecture entre les lignes vaut pour la connaissance ; qui néglige cette équivalence se condamne à suivre les instructions.

Face à la torture, on aimerait prendre ses cliques et ses claques ; la seconde moitié de notre souhait se réalise sans peine.

Enfin, sans peine est une façon de parler ; une façon de parler aussi en est une : je n'ai encore rien avoué.

Quand je me tais, j'applique en quelque sorte une loi de conservation : mon bourreau perd son calme tandis que mon geôlier garde le silence.

Le détenu Demolder nous gave avec son Pindare indigeste ; je donnerais n'importe quoi pour rompre un morceau de tout autre pain : pain dur, pain d'or, pain d'ire, pain d'air...

Harpagon tend l'oreille et communie : qu'un moulin à paroles soit prêt à verser des arrhes dans la farine l'intéresse au plus haut point.

Knock, maussade, revient à la charge : après tout, le sexe et la torture sont deux arts plastiques qui s'établissent depuis les origines sur un terrain commun ; pourquoi ne les pratiqueraient-ils pas conjointement, elle et lui ?

Confondue devant tant d'audace, Élise hésite entre lui demander d'aller se faire cuire un œuf ou le lui préparer elle-même ; comme nous avons mangé le dernier avant-hier, elle n'a guère le choix.

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » ; personnellement, je reste très attaché à cette vieille paire de menottes qui a su garder la main sur ma détention.

Autre cas : le prétendu abbé Faria s'endort tête-bêche en compagnie de l'outil d'excavation qu'il dissimule dans son grabat, terrassé par la fatigue...