lundi 22 juin 2015

Les photos qui ont marqué l'Histoire - 3



Le 24 juin 1958 fut un jour particulier pour les Lilliputiens : ils repêchèrent un vestige doux-amer de leur mythique passé, un souvenir ressurgi d'entre les flots implacables du temps après deux siècles et demi d'occultation. Pour les lecteurs peu familiers de l'Histoire des nations de l'océan Indien, nous rappellerons les événements dramatiques au cours desquels la maison de Lelu sombra dans le chenal qui sépare Lilliput de Blefuscu. Depuis son arrivée en novembre 1699 dans les célèbres îles situées au sud-ouest de Sumatra, le docteur Lemuel Gulliver avait accompli de multiples prouesses qui contribuèrent à l'amélioration des conditions de vie de la population indigène. Admirons, entre autres, une magnifique reproduction à l'échelle 1/200 du palais de Westminster, entièrement réalisée en allumettes anglaises. Les actions spectaculaires du bon géant amenèrent des changements politiques profonds suivis par un essor économique sans précédent dans ces contrées reculées. Il est loin le temps des mouillettes et de la guerre des Œufs, quand on sait aujourd'hui le pays leader mondial en matière de nanotechnologies, et les établissements bancaires de sa capitale Mildendo rois incontestés du microcrédit et des petites coupures. Pour le plaisir de la liste, citons en vrac quelques domaines où Lilliput excelle encore : les petites cuillers ; la minijupe ; le petit salé aux lentilles grossissantes ; les petits-déjeuners hypocaloriques ; les petites annonces à la loupe ; le livre de poche ; les micro-ondes ; les lampes de poche ; les mouchoirs de poche aéroportuaires ; le timbre-poste immobilier ; les aphrodisiaques qui emmènent à la petite mort ; les petits derniers pour la route qui conduisent à la grande ; les minima sociaux ; les petits pois extra-fins ; les mini-stères à la langue de bois ; et l'exploitation audacieuse d'une main-d’œuvre bon marché alimentée par les flux migratoires micronésien et pygmée. Gulliver n'avait pas chômé, ayant hissé le pays à la force des bras vers la révolution industrielle et ses vapeurs enivrantes... Mais les héros, bien que demi-dieux, sont aussi demi-humains : le temps des exploits finissant, ils s'écroulent à moitié fatigués, remisent arc et carquois dans la penderie du salon, et se vautrent attendant la couronne de laurier, les gâteaux secs, le vin, les jeux et les femmes. Pour ce qui est des quatre premiers termes de ce loyer de laudateurs, les Lilliputiens s'en sortirent honorablement, redoublant d'astuces à la hauteur. En revanche, la cinquième proposition pas kantienne pour un sou du contrat tacite posa plus de problèmes qu'elle n'en résolut. Lelu, une radasse vide aux as du quartier portuaire de Mildendo, pensant renflouer sa caisse, proposa son châssis usagé à l'avide géant en manque depuis sa dernière chevauchée dans la soupente mal éclairée d'une taverne de Bristol, le 3 mai 1699, soit un an et demi auparavant. Pour un étranger cyclopéen, peu détaillant, au regard qui trop embrasse, les sillons creusés par l'âge dans l'infime peau de la morue autochtone n'auraient été perceptibles qu'avec le secours d'un des appareils du microscopiste Antoni van Leeuwenhoek. La présence fortuite d'un tel matériel étant improbable dans cette contrée, Gulliver n'y vit que du feu... et de la flamme. Inutile de préciser que rien ne fonctionna naturellement, l'extrême disproportion des parties impliquées interdisant toute imbrication classique. Lelu en fut réduite à pratiquer sur Lemuel le jeu de la mouche et du gland, occupation que n'ignorait pas ce dernier, habitué à la promiscuité impudique des couchettes des navires de la marine marchande britannique. Néanmoins, le temps passant, les amants boiteux s'attachèrent l'un à l'autre, à la ficelle et aux sentiments. Équilibrant privautés et privations, ils surent stabiliser leur relation abstruse, mariage de la carpe et du lapin ou, si l'on veut mieux saisir, de la mouche et de l'éléphant. Jusqu'au jour où Lelu, restant aussi impénétrable que les voies divines, et pour cause, voulut évacuer une frustration certaine en réalisant un petit fantasme commun à beaucoup de dominatrices, quelle que soit leur taille : entrer dans son partenaire, habiter la chair de l'autre, quoi. Elle savait Gulliver borgne des suites d'un malencontreux accident survenu pendant une séance de dissection alors qu'il était jeune carabin, et se risqua à lui faire part de cette idée de plus en plus obsédante. En bon chirurgien de marine, il connaissait la fragilité des muscles entourant le globe oculaire, mais ne fut pas opposé à l'expérience pourvu qu'on le laissât remplacer son œil de verre par une sphère creuse, adaptée à la cavité, qui servirait d'habitacle à la minuscule exploratrice. Il fit fabriquer par les forges impériales — on lui devait tant, qu'on ne lui refusait rien — un globe évidé en alliage à forte proportion d'or, métal connu pour ne pas se corroder au contact des muqueuses du corps humain. On prévit des hublots ouvrants : un en façade qui laisserait entrer la lumière, Lelu n'aimant pas faire le truc dans le noir ; d'autres sur le pourtour qui permettraient à Lelu d'y passer différentes parties de son corps, prudemment toutefois, de façon à se fondre plus complètement dans son amant qu'il ne lui avait été possible auparavant. Les premières "copoculations" se passèrent à merveille : elle se frottait ; il en pleurait ; ça baignait. Tout ce bonheur était irritant à la fin, et cette envie de se rincer l’œil qu'il ne pouvait satisfaire, vu que l’œil était absent. Lelu, toujours plus insatiable, voulut s'installer définitivement dans l'orbite de son mec, à demeure dans l'amour. Les parois brutes de la sphère reçurent de beaux lés de papier peint, on y clouta même quelques natures mortes, fruits de la subvention accordée au lauréat du concours impérial de peinturlurage de l'année précédente. L'habitacle se mua en appartement, chrysalide meublée de la nymphe qui hantait les sources lacrymales de Lemuel, ravi, de son côté, de pouvoir tenir sa petite femme à l’œil vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En contrepartie, cet avantage exigeait de menus sacrifices, comme ce pot de géranium qu'il devait supporter sans cligner sur le rebord de sa paupière, ou cette potence, rivée à son sourcil, dont le treuil permettait l'acheminement des victuailles nécessaires à apaiser les fringales de Lelu. Madame recevait peu, la maison étant close par nécessité de prudence : dans ce pays démuni d'alpinistes chevronnés, la seule montagne était Gulliver. Il n'y avait guère que le facteur, un jeune gars vigoureux qui grimpait à la corde, à pénétrer dans la grotte en surplomb. La petite troglodyte, en tant que compagne d'un grand philanthrope, jouissait d'une popularité égale. Des admirateurs des deux sexes lui envoyaient sans cesse des lettres recommandées avec accusés de réception, dans l'espoir que leur ruse rapportât de belles signatures qu'ils feraient passer pour des autographes. Elles recevait mille colis contenant les témoignages d'affection d'une population aux goûts simples et rustiques : des pâtés, qu'elle étalait sur de la brioche ; des brioches, qu'elle tartinait de pâté ; des cruchons de bière ; des fromages plus ou moins odorants ; des confiseries ; des mouchoirs de batiste, brodés d'un cœur ou d'une fleur, rien d'alambiqué ; un oiseau en cage, une fois. Ce qu'elle ne pouvait garder, faute de place et souci de péremption, passait au ministère qui la rétribuait toujours pour les services qu'elle continuait à rendre à Gulliver, bien que son statut eût évolué vers plus d'honorabilité. Tout ce train-train aurait pu cheminer doucement jusqu'au terminus lointain, si les postes impériales n'avaient employé que des eunuques. C'était le sort réservé aux fonctionnaires titulaires, une ancestrale coutume, pleine de sagesse, qui coupait court à bien des fautes professionnelles. Mais le facteur de Lelu était remplaçant contractuel, encore plein d'illusions, prenant à la lettre les souhaits d'une abonnée de sa tournée vécue comme une virée. Ce qui devait arriver advint. Gulliver mit du temps à découvrir le pot aux roses derrière le pot de géranium : jeter un œil dans l'orbite voisin relève de la contorsion spectaculaire que les cirques les plus réputés aimeraient ajouter à leurs affiches criardes. Un jour qu'il se taillait la moustache avec une lame de moissonneuse, s'observant dans un grand vitrail du palais impérial, un reflet, qu'il prit d'abord pour un détail osé du décor, retint son attention : le facteur besognait Lelu. Il comblait ce vide que lui, Lemuel, ne pouvait fonctionnellement remplir, cette cavité logée dans Lelu qui logeait dans la cavité logée dans la tête de Lemuel. Au diable les Russes et leurs poupées ! Le facteur était dans la bergerie. Le loup était dans Lelu, insérant sa cheville, coulant son mortier, bâtissant une maison autrement solide que les caresses à la paille du gigantesque petit cochon Lemuel. La rage prit Gulliver, pauvre éléphant trompé, qui jeta de hauts cris, véritables barrissements qui résonnèrent dans toute l'île de Lilliput et même un peu plus loin vers Blefuscu, malmenant quelques minuscules conduits auditifs au passage des ondes pachydermiques. Son amour s'éteignit d'un coup, telle une chandelle mouchée. D'un index fatal, le géant blessé éjecta de son orbite le globe funeste qui jaillit dans les nuées, traversant le ciel comme un satellite perdu, avant de disparaître dans les eaux profondes du chenal. Gulliver maudit les amants : l'habitacle du crime serait leur tombeau pour les siècles à venir. Anathème légèrement bateau, soit, pourtant assez lourd de conséquences pour entraîner par le fond toute cette affaire. Puis il reprit sa bille l’œil de verre qu'il avait délaissé au fond d'une poche de sa vareuse , et s'enfuit à Blefuscu pour y méditer longuement sur les turpitudes de la passion. Cette tragédie eut lieu le 24 juin 1701, jour de la Saint-Jean dans notre vieille Europe. Là-bas, à Lilliput, sous le tropique du Capricorne, c'était le solstice d'hiver... et la nuit fut longue.

mercredi 17 juin 2015

Les photos qui ont marqué l'Histoire - 2


Il est minuit et quart au Jardin Zoologique de Sarajevo. Les gnous se reposent, sur les genoux. Les chats sauvages reprennent leur teinte gris sauvage, tandis que les coassements puissants des crapauds-buffles nous gonflent et que le gardien ronfle. Mata Hari, l'espionne qui se rit de l'échec et du mat, est fatiguée. Elle a ondulé du ventre toute la soirée dans un cabaret minable qui plonge à demi dans les eaux brunâtres de la Miljacka. Maintenant il s'agit d'une autre affaire : elle doit monter la garde devant cette fichue trappe dans le plancher qui ne s'ouvrira peut-être jamais. Alors pourquoi ne pas attendre confortablement allongée. Une fois déroulé son sac de couchage spécial camouflage, elle s'introduit nue dans le doux duvet, sachant qu'une nuisette serait accrochée par les fausses dents trop bien imitées. Fourbue, elle s'endort en pleine action. Sur un rocher hors-champ, une bande de babouins couche-tard mate le cul de Mata, le trouvant moins rouge que ceux de leurs copines. Comme ils ne sont pas stupides, ils se demandent bien pourquoi elle s'enfile la tête la première dans un crocodile, leur rappelant le croque-madame égyptien, un plat des snacks du Nil. Cependant, la réponse est au-delà de l'entendement de ces pauvres créatures qui ignorent tout des aléas du renseignement militaire. C'est que Mata, depuis qu'elle est agent double, s'est aperçue qu'elle rentrait de plus en plus difficilement dans son sac de couchage spécial camouflage taille S. Alors elle a pensé, rompue aux techniques d'évasion, que si elle coinçait dans un sens, dans l'autre il fallait donc essayer. D'autant que sa petite poitrine et ses hanches plus larges semblent légitimer cette dernière tentative. Mais voilà que Madame Hari, harassée, se pique un roupillon pendant l'essayage. Et cela est fort dommage, car pendant qu'elle pionce, un séide de la Jeune Bosnie, bras armé de la Main noire, surgit de la trappe dans le plancher. Le fier mâle hésite un instant devant ce cul offert, avance un doigt... puis renonce. Tenant à respecter sa règle de non-intrusion du plaisir dans le travail, il s'éloigne vers son destin qu'il rencontrera près du Pont Latin, sans se douter que Mata était postée là pour l'empêcher d'accomplir sa mission : quoi de plus inoffensif qu'un crocodile trop vorace mort d'étouffement. Le gars viril à principes s'appelle Gavrilo Princip ; nous sommes le 28 juin 1914....

dimanche 14 juin 2015

Les photos qui ont marqué l'Histoire - 1


Première et dernière tentative de greffe d'un pénis artificiel à guidon, prothèse indispensable pour que le cerveau humain masculin reprenne le contrôle des pulsions sexuelles souvent aussi imprévisibles qu'un cheval fougueux. Le projet comptait ainsi mettre fin à la dictature plurimillénaire d'un membre actif de l'association d'idées salaces. Cette expérience se déroula en apesanteur, à bord de la capsule Gemini 13, le jour de la Saint-Valentin 1967. Sur la photo, l'astronaute italo-américain Wally DeMinimo, en tenue dominicale pour fêter sa victoire sur l'instinct animal, se prend les pieds dans les spaghettis à l'encre de seiche qui constituent son déjeuner. On distingue nettement, dépassant de la poche extérieure droite de son veston, de petites recharges d'encre de Chine pour le cas où le fameux plat vénitien ne serait pas assez assaisonné. C'est d'ailleurs ce détail qui jeta un froid momentané sur les relations diplomatiques sino-américaines, le président Mao ayant peu apprécié que la NASA accommode à sa sauce les menus de son personnel navigant. L'expérience échoua lamentablement à cause de ces maudites pâtes, et l'été qui suivitle célèbre "Summer of Love" emporta les derniers espoirs de reprise en main du "gizmo" de la moitié de l'humanité.