lundi 25 juillet 2016

*Ghorto 5
























Pour une fois, je me douche tranquillement ; le rideau de pluie forme de minces barreaux liquides autour de mon corps ; il me plaît de croire qu'il puisse éloigner le feu de mon codétenu passionné.

Que les échelles, qui permirent tant d'évasions, soient munies de barreaux est assez déséquilibrant pour l'esprit.

Quant à l'évadé de la prison de Namur, il n'a pas eu besoin d'échelle.

Je ne suis qu'une merde ; si j'arrive à sortir d'ici, ce sera par la cuvette des vécés en trompant la vigilance de la lunette.

Le costume rayé que je porte a été conçu d'après une étude de Saint Laurent sur le gril.

Le mille-et-unième matin, plutôt que s'acheter un rasoir électrique, Knock décide de se laisser pousser une barbe de sultan.

Insultant son père, la fille d'Harpagon lui lance toute une partition d'injures ; « flûte ! » lui répond-il avec parcimonie.

Sous la torture, n'avoir rien à dire est une chose terrible ; je préfère encore me taire.

Casanova réalisa l'unique évasion que la prison des Plombs ait connue ; nul doute que la grande légèreté avec les femmes de cet homme de plume y fut pour quelque chose.

Mes espadrilles de prisonnier ont des semelles de corde...

mardi 19 juillet 2016

*Ghorto 4


























Przewalski est désormais le nom que je porte, mais la porte me dit toujours non.

De la rue sous ma fenêtre, monte le murmure nymphéen d'un groupe d'écolières se rendant à la piscine ; je me sens comme un élève en retenue.

Au mur, la reproduction de Klee que j'y ai accrochée reste sans effet ; « ce n'est bas drès gauguin » me susurre le prétendu abbé Faria, toujours enrhumé ; « il est vrai qu'elle cache le trou » reconnais-je, courbé devant l'évidence, en ramassant quelques punaises réfugiées sous le lit.

« Un simple clapier suffit comme prison aux lapins, c'est assez économique » me souffle Harpagon en forant des carottes dans mon tibia.

Je sais que la fille d'Harpagon voudrait prendre des cours de piano, mais son père l'incite à la flûte.

Knock souffre mille tortures : chaque matin, devant son miroir, il se coupe en se rasant.

Entre ces murs jaunasses, je me sais dans un squelette de baleine ; nul espoir d'être vomi.

Le prétendu abbé Faria est reparti dans son métro ; il a rendez-vous station Madeleine pour un brin de causette sur la paille avec le détenu Valjean.

J'ai emprunté la bouche dans le mur : Bastille, Châtelet, Duroc ; ça ne m'a pas satisfait, nom d'une pipe !

Le boulet que j'ai au pied, moi lent forçat, va me rendre aussi véloce qu'un cheval dans la course...

mercredi 13 juillet 2016

*Ghorto 3























La porte de ma cellule est au nord ; mon esprit est accaparé comme l’aiguille d'une boussole.

Knock m'offre des apéricubes : je voulais paprika, je n'ai que des bleus ; dedans, la question.

Quand Harpagon, jaloux de la générosité de son collègue, me régale de coups de bâton, j'ai peine à y croire.

Prétendre jouer de la harpe avec la grille d'entrée n'était pas pour les gardiens un argument convaincant qui me permît de mettre un genou en dehors de cette prison.

J'ai beau me creuser la tête, je n'arrive pas à m'évader l'esprit.

Occasionnant un brusque éboulis du mur ouest, un prisonnier déboule dans ma cellule, et me fait lâcher de surprise ma cruche d'eau croupie qui se brise sur le dallage ; il se présente sous le nom de Faria et se dit abbé ; c'est ça ! et moi je suis le détenu Kleist !

Enrhumé par la poussière, le prétendu abbé Faria me révèle qu'il « greuze un dunnel » ; et paf ! Je recasse une cruche.

Maintenant que l'on bâtit les prisons à la campagne, la clé des champs a beaucoup perdu de son intérêt.

Mon âme est prisonnière de mon désir qui est prisonnier de mon corps qui est prisonnier de ma cellule : je bande platoniquement pour une poupée russe.

Ma requête est parvenue au ministère de la justice ; on tiendra certainement compte de mon intérêt légitime à demander à changer de nom de famille pour en avoir un à coucher dehors...

jeudi 7 juillet 2016

*Ghorto 2





















Mettre ma clé dans sa serrure, défoncer la porte, violer le règlement : le fantasme de la liberté.

Curieusement, les téléphones cellulaires sont interdits dans la prison.

Dans cette étrange maison d’arrêt, les gardiens promènent des chiens d'arrêt, portent des crans d'arrêt, mais ne lisent pas Kadaré ; j'ai pu parler avec l'un d'entre eux qui prétend venir des Monts d'Arrée.

Au menu, une rondelle de jésus que je mastique bruyamment ; le gardien m’observe par le judas.

Il y a peu d'entraide parmi les détenus, bien que nous nous serrions les coudes individuellement dans nos cellules étroites.

Nos tortionnaires nous maintiennent en vie ; le sang de la prison oxygène nos cellules.

Harpagon retire de minuscules médaillons de chair de mon scrotum scarifié, pourtant ces modestes prélèvements semblent lui coûter encore, comme s'ils sortaient de sa propre bourse.

Knock est bien décidé à me guérir de mon silence ; il renonce à m'arracher la langue.

Même le temps est arrêté dans cette maison d'arrêt, et l'espace s'en trouve réduit pour une sombre histoire de relativité restreinte.

Quand par la fenêtre le soleil réchauffe ma cellule, je me fais lézard et pénètre la lézarde dans le mur...

samedi 2 juillet 2016

*Ghorto 1

(à Carlos Liscano)

Mon trousseau de prisonnier ne comprend rien qui me permette de m'enfuir, il n'y a pas plus différent d'un trousseau de clefs.

Avec le souci le plus louable de remplir au mieux sa mission, mon geôlier est aimable comme une porte de prison.

Le petit lavabo de ma cellule a un robinet qui fuit ; étrangement, personne ne s'en inquiète.

Dans ma cellule, je trompe l'ennui en remplissant des grilles où les mots se croisent, et je rêve de m'évader par les cases noires.

Une fois de plus, mon tortionnaire Knock – je l'appelle ainsi parce qu'il frappe fort – m'a reposé son éternelle question : « Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous grattouille ? ».

Là où je suis écroué, le mobilier est boulonné au sol, la chaise a des barreaux.

On raconte que le tennis de table est un sport très pratiqué au sein de la prison ; il nécessite peu d'espace, et les balles sont en celluloïd.

Après avoir fumé un pétard que je cachais dans mon pétard, je vois ma taule onduler.

Au plafond de ma cellule, la ventilation légèrement bruyante joue la fille de l'air.

Aujourd'hui, mon geôlier est venu dégraisser la serrure de la porte de ma cellule, afin qu'elle fonctionne moins bien.

Ce matin sous la douche, en tenue d'Adam, un codétenu m'a forcé à croquer la pomme ; c'était un peu dur sous la dent.

Je ne tape pas du morse sur la tuyauterie avec ma cuillère à soupe ; mon voisin de cellule est pédé comme un phoque, comme les autres.

Sur les barreaux de la fenêtre de ma cellule, j'ai dessiné un cheval ; il m'a l'air d'un drôle de zèbre.

Ce soir, un aumônier est venu me voir dans ma cellule pour me parler de son dieu ; je lui ai dit que je n'avais pas besoin d'un gardien supplémentaire, que l'Univers n'était pas une prison, qu'il pouvait toujours en chercher les murs.

Un détenu américain m'a dit qu'ici il n'y a pas de femmes parce que la prison est jalouse : « Prison is jailhouse ! » répète-t-il d'un ton malicieux.

Ce midi au déjeuner, j'ai eu droit à mon avocat et à mon œuf dur ; pendant notre entretien, j'ai brisé ma coquille.

Mon autre tortionnaire, Harpagon, m'a confié vouloir arrêter la gégène ; l'EDF va augmenter prochainement ses tarifs.

Au fond de mon cachot, je sirote un Cuba libre ; la paille est humide.

Après deux années de torture, mes bourreaux m'avouent leur impuissance ; nous passons directement de la cave de la prison au comble de l’inefficacité.

Le Cuba libre est un cocktail à base de rhum, de cola et de lime...