mardi 10 décembre 2019

Bricoles : 030 - Entomologie
























Au fil d'agapes avinées, nos conversations empruntent souvent les détours les plus tortueux, et nous arrivons mystérieusement à des intersections peu fréquentées où trônent d'irrésistibles gloriettes, des sujets improbables et crapoteux sur lesquels personne n'aurait misé en début de soirée. Il y a peu, c'est ainsi que nous joignîmes le problème de la punaise des lits entre la poire et le fromage, plus exactement entre la conférence et le conté je m'autorise ici une faute par-dessus la jambe afin de mieux souligner le calembour. Les propos tenus au sujet de l'ennuyeux animal, lors d'une réunion fort sympathique et digeste au demeurant, me démangèrent suffisamment la tête pour que je m'enquisse par la suite de leur véracité. Renseignements pris sur la toile, les punaises des lits sont bien la calamité prétendue. Après une éclipse soixantenaire presque totale dans nos contrées, due à l'utilisation du DDT auquel elle ont appris à résister avec le temps, leur grand retour est clamé partout, des marronniers de la presse aux brochures des mutuelles de santé. Notre addiction à la lumière bleue des écrans nous avait fait oublier la cause première des grandes insomnies de l'humanité : le prurit incessant que provoquent les piqûres de ces petites suceuses hématophages. On redoute leur réintroduction dans nos logis par l'intermédiaire de nos valises rapatriées d'antipodes insalubres, du bric-à-brac des brocantes et des livres d'occasion où elles adorent faire leurs nids. En octobre dernier, la bibliothèque de l'Alcazar à Marseille en était envahie. Les livres m'entourant en permanence, et ayant l'habitude de dormir auprès de mes rayonnages comme un chien au pied des tiroirs funéraires de ses maîtres, j'ai aussitôt pensé qu'il serait rassurant de vérifier entre les pages de mes vieux bouquins l’absence de galeries suspectes que je tâcherais de ne pas confondre avec celles d'inoffensifs psoques qui ne sont que les poux du livre et ne font se gratter personne. Je me suis donc lancé dans mes tomes sur les traces éventuelles du cimex lectularius. En quelque sorte, j'ai pratiqué l'entomologie.
Les premières pages de Solénoïde sont encourageantes. Mircea Cărtărescu se souvient de la Bucarest de son enfance, de son père qui arrosait les punaises de lindane, de l'odeur de cet insecticide qu'il aimait nulle madeleine bourgeoise sur les étagères presque vides des Alimentare communistes. D'emblée, je me trouve confronté à un insecte virtuel, écrit dans le texte, plutôt qu'à une présence réelle dans la trame et l'amidon du papier, ce dont je me réjouis. Il n'y a aucune raison pour que cela ne continue pas, maintenant que je sais comment orienter mes recherches.
Dans La Métamorphose, l'infortuné Gregor Samsa se réveille transformé en une monstrueuse vermine ein ungeheueren Ungeziefer que certains traducteurs ineptes ont voulu faire passer pour un cafard ou un cancrelat. Nabokov, quant à lui, plus lépidoptériste qu'autre chose, y voyait un scarabée ce n'est pas grave, je peux pardonner beaucoup à un génie de cette trempe. Pourtant, la description de l'insecte correspond en tout point à la punaise des lits. Il ne faut pas sous-estimer l'humour de Kafka quand une des premières sensations qu'il fait éprouver à sa créature est une démangeaison à l'abdomen, revanche parfaite d'un auteur insomniaque et moins glauque qu'il n'y paraît.
En Italie, au cours de l'année 1581, Montaigne fut amené par deux fois à coucher tout habillé sur une table, pour éviter les cimici dont tous les lits d'auberge étaient infectés. Dans son Journal de voyage, il consigne ces anecdotes dans la langue de Dante, pour s'y exercer. La longueur des pieds d'un meuble semble jouer, on conseille par ailleurs de graisser ceux des lits afin d'en décourager l'escalade. En garnison à Gibraltar en 1942, le jeune Anthony Burgess dormait dans un châlit qui reposait sur quatre cendriers emplis de paraffine. Tous les dimanches dans la cour, on mettait le feu au cadre métallique de son plumard. Quarante ans après, dans sa monographie Sur le lit, il comparera cette vision inoubliable à celle d'un tableau de Magritte. Cependant, les punaises restaient invincibles.
Goethe devait être aux trois quarts vampire. Dans une épigramme audacieuse, il a cité quatre choses qui le répugnaient au plus haut point : le tabac, les punaises, l'ail et la croix. L'ermite de Weimar montrait des dégoûts bien ataviques, du moins si l'on adhère à cette rumeur scientifique qui voudrait que les chauves-souris troglodytes nous transmirent le cimex à l'époque où nous en écrasions dans les cavernes. J'en profite pour réviser Bram Stoker, sans rien y trouver de pertinent.
Il est rapporté, dans les Actes le concernant, que l'apôtre Jean, importuné par des punaises, les fit attendre à la porte de sa chambre, le temps de finir sa nuit. Commander à ces bestioles restera toujours un miracle du christianisme un progrès certain depuis Les Nuées d'Aristophane où c'étaient elles qui menaient le vieux Strepsiade et son grabat , mais quel dommage de les avoir laissées poireauter sans rien faire. Aujourd'hui, urgence climatique et nouvelle vertu réclameraient l'optimisation d'un tel potentiel évangéliste. Il faudrait pouvoir stocker l'énergie cinétique consécutive aux mouvements des troupes hétéroptères, puis la restituer pour alimenter la brutalité d'un réveille-matin et ainsi faire l'économie de son portable, ou concevoir au sein du couchage une roue à aubes que ferait tourner au lever du jour le pullulement vermineux, entraînant un mécanisme d'horlogerie, digne des meilleures planches du Codex seraphinianus, qui, après remontage des ressorts du matelas, déclencherait l'avalanche de l'endormi sur la descente de lit, et la mise en route d'un percolateur ménager s'il restait de quoi, tant qu'on y serait.  
Tropique du Cancer d'Henry Miller : s'éveillant d'un profond sommeil, le narrateur, à la pâle lumière du jour perlant, voit sur l'oreiller le grouillement des punaises qui donnent vie à la chevelure de son amante Mona. Je pense à la brosse de Van Gogh animant un champ de blé, c'est idiot.
Je termine par les Notes de chevet (Makura no sōshi) de la dame de cour Sei Shōnagon, un peu déçu de n'y trouver aucune punaise : je comptais beaucoup sur l'exhaustivité de la note 27, consacrée aux insectes. Mais les intérieurs japonais du XIe siècle étaient sans doute bien aérés. De plus, les futons enroulés et déplacés quotidiennement ne devaient guère favoriser l'installation de ces mushi.
Toute cette remémoration livresque est bien jolie, mais c'est en fin de compte sur Wikipédia que je découvre la solution rêvée pour éradiquer une espèce redoutable. Nous y apprenons que les punaises mâles sont des adeptes obligés de la copulation traumatique, c'est-à-dire qu'ils défoncent l'abdomen des femelles avec leur pénis aiguisé, ces dames étant dépourvues d'orifice sexuel. Pour se pénétrer clairement de toutes les implications de la chose, il faut imaginer un instant les hommes avec une perceuse entre les jambes, la société de mèche et les femmes en forteresses de placoplâtre. Si nous arrivions à décourager cette détestable pratique chez les populations matelassières, l’espèce serait condamnée sans appel. Ne suffirait-il pas de lâcher sur les lits de la propagande #MeToo imprimée sur des confettis ?

jeudi 14 novembre 2019

Bricoles : 029 - Économe

























Vieux compagnon des corvées de pluches que le respect de règles diététiques m'impose, mon économe est fatigué, il a dilapidé sa robustesse au jeu des rivets dans le bois. Nous avons trop travaillé pour la peau tous les deux, trop bûché d'yeux, et sommes allés dans le décor, produisant des kilomètres de guirlandes végétales puisqu'il est vrai que nous n'avons jamais réussi ensemble à tailler les bavettes, ni à dépouiller la langue pour cela, j'ai dû le tromper avec des outils autrement plumitifs. Des lustres passés à dessaper patates, carottes et autres légumes désirables, auront à peine entamé le fil d'une lame d'inox qui se porte comme un charme mais le manche, quant à lui, paraissant fait de la même essence peu coriace à l'humidité, a déjà succombé au plongeon quotidien dans mes eaux de vaisselle décapantes. Ignorant superbement la ruine lichtenbergienne où voudrait l'attirer une attelle aussi détrempée que la vieille barque de Charon, l'acier reluisant continue de remplir son office et le mien. Selfoods volubiles, les épluchures se dévident dans l'arrière-cuisine de mes repas tels des rouleaux de pellicule argentique, et j'ai de plus en plus mal au creux de la main. Vestige d'un manche disparu, rostre acéré que j'empoigne, la soie du couteau me blesse, ce n'est pas aussi confortable que le poil qui me pousserait dans la paume si je renonçais à ma tâche. L'autre jour, nous attaquant à un panais ligneux, je me suis écorché la ligne de vie. Ça ne peut plus durer. Si l'humanité avait pelé la planète comme l'économe la pomme, au lieu de se comporter comme une pince avec une noix, nous bénéficierions aujourd'hui d'un anthropocène durable, les choses seraient bien faites, et aucune obsolescence n'aurait jamais été programmée pour mon petit ustensile qui porterait son nom d'autant plus fièrement dans son petit costume imputrescible. Négligeant les ingénieuses ressources de la menuiserie des maisons de poupées et la féerie de l'impression tridimensionnelle, je m'y suis pris comme le manche que je n'avais plus, me précipitant au rayon cuisine du grand bazar des mousquetaires, consommateur effréné à la recherche d'une autre lame équipée de ce qui me manquait tant. Au milieu des mandolines, des tire-bouchons, des cuillères à pamplemousse et des chinois, surtout des chinois, je découvre l'unique modèle exposé, fabriqué en Allemagne avec les derniers grammes d'acier de la Ruhr et de foi en l'Europe, je n'en demandais pas tant. Mais le manche est encore en bois du hêtre : bel essai turlupin de résistance au néant. J'espère qu'il durera aussi longtemps que l'ancien, je touche du bois. Le contrefort du tranchant droit de cette lame germanique évoque le bord d'un timbre avec sa fine dentelure qui n'a pas été conçue pour éplucher son courrier, mais pour écailler le poisson sur un vieux journal qui est peut-être arrivé par la Deutsche Post, tout compte fait. Bien que fondre deux outils en un propose une déclinaison prudente du couteau suisse et un modèle de décroissance, j'aperçois néanmoins dans un tel appariement un embryon de désuétude qui ne fera que grandir dans un monde devenu végan de gré ou de force, où les rivières et les océans seront le conservatoire d'une poiscaille interdite, et duquel mon nouvel économe, affairé et suréquipé, sourira encore de ses petites dents intactes.

mardi 15 octobre 2019

Bricoles : 028 - Encyclique


Les nouvelles pratiques urbaines de locomotion ont le vent en poupe, et, sans qu'il soit besoin d'en voiler les roues, l'avancée de la bicyclette dans les rues de nos villes est indéniable. Un grand nombre de citadins l'a adoptée, parmi lequel nous retrouvons la proportion habituelle de rapaces et de malpolis. Hier encore, d'un pas distrait dans Laval et croyant longer en toute sécurité l'avenue qui menait à mon emplette, j'ai failli servir de râtelier à la roue inquisitrice d'une dame de la haute qui m'est arrivée dans le bas du dos sans prévenir ; sacoches Vuitton, cale-pieds Louboutin, gueule d'empeigne, chapeau de zozo, ni pardon, ni bonjour : je n'étais que du fretin qui n'aurait pas dû frétiller hors du sillage que m'avait tracé à l'avance cette grande visionnaire. Je tiens à souligner que ce bref épisode de démence cycliste s'est entièrement déroulé sur un trottoir, et qu'il n'est nul besoin de maîtriser les arcanes de la science étymologique, ni d'accéder aux entrailles de la mammalogie, pour comprendre de quelle manière nous nous devons d'arpenter cette catégorie d'espace public munis des appendices dont la nature nous a pourvus, exception faite des personnes en fauteuil, en landau et en poussette qui, pour des raisons humanitaires, sont autorisées à s'y prendre autrement. C'est aussi une théorie qui ne tient pas la route de s'imaginer que le nom palindromique de cette cité en particulier puisse inciter de la sorte ses habitants à agir en dépit du bon sens, quand on voyage un peu l'on s'aperçoit vite que ce comportement détestable est endémique dans toutes les grandes agglomérations. Mais quel désagrément pour l'honnête passant sont ces vélocipédards qui, faute de pistes réservées et n'aimant pas se faire bousculer par les voitures, préfèrent par lâcheté enquiquiner les piétons en choisissant d'assumer leur vélocité comme agresseurs plutôt qu'en victimes. La morgue des bourgeois, bohèmes ou pas, qui apparait déjà bien assez à travers les vitres pourtant polluées des grosses berlines ‒ SUV qui peut , devient plus flagrante encore quand ils traversent dans nos clous sur leurs machines ubuesques le bonjour d'Alfred , l'increvable dédain de leurs pneumatiques fendant le flot contraire des passants. Au nom de quels passe-droits leurs guidons s'inclinent à peine face à la compacité de la foule ? Par quelles déviances rechignent-ils à modifier leurs trajectoires un peu gauches ? Quelle inertie sociale les contraint à glisser ainsi entre des marcheurs agacés, sans freins ni sonnette ? Quel bovarysme écolo les pousse à circuler l'étole au vent et la chambre à air comme s'ils étaient seuls au monde dans un décor à la Walking Dead ? Histoire de leur mettre des bâtons dans les roues, nous pourrions nous acclimater à la marche nordique sur les trottoirs, mêlant pour une fois, ce qui ne serait guère coutume, facétie et struggle for life dans un joyeux bordel. Nous entamerions leurs camemberts tournoyants, rayon après rayon, quartier par quartier, menant sans relâche une guerre d'usure des bandes de roulement jusqu'à libération de nos plates-bandes à nous les Walkers, jusqu'à la fonte de ces visages de glace, qu'ils rétropédalent vers le pays du sourire en cheminant à côté de leurs destriers tenus en bride, que nous puissions légitimement recommencer à marcher à côté de nos pompes et à louvoyer sans être équipés de clignotants, encore moins de feux de détresse. Merdre alors !

dimanche 22 septembre 2019

Bricoles : 027 - Époulpicéa






























Il semble que nous apprendrions plus de nos échecs que de nos réussites, c'est pourquoi il y aurait tant d'érudits impuissants et quelques ignorants accomplis. Pour réduire cet écart inhibitif, il faudrait entreprendre autre chose qu'entreprendre. L'architecte organiserait l'espace comme l'ouistiti sa canopée ; l'écrivain, plus végétal, libérerait le temps, explorant jusqu'aux moindres radicelles synaptiques. Nous filerions dans ce minestrone dimensionnel, vermicelles aspirés au sein d'une galaxie tentaculaire. Nous serions des êtres aux avancées sinueuses qui, devinant, faute de lendemains guillerets, l'inanité de toute procrastination, penserions dans l'instant à tergiverser à la place : des milliards d'aiguilles sur une même boussole équatoriale.

Trêve d’amphigouri, c'était le bon moment pour élaguer mon arbre. Comme on nous rebattait les oreilles avec cette actualité brûlante sur la forêt amazonienne, je me suis persuadé que le modeste labeur d'une trentaine de branches basses de plus ou de moins serait négligeable en regard du vaste chantier de captation du dioxyde de carbone entrepris par la végétation mondiale, du moins ce qui en subsisterait. N'écoutant que mon courage, le bris sec du fagot et le crincrin de ma scie à bûches, m'absolvant d'une destruction, j'ai donné le jour à une nouvelle espèce, une chimère ne relevant d'aucune manigance génétique. Comme un enfant devant une peluche de Cthulhu, je suis partagé entre l'envie d'un câlin et la montée d'une terreur abyssale. À la fois tutélaire et menaçant, l'époulpicéa, moitié conifère, moitié calmar, bavant sa sève de mollusque, manifeste un penchant certain pour les hauteurs de ma bâtisse. Calant la puissance de son affection sur celle du vent du nord-ouest, il rêve de se coucher sur la toiture qui serait fort chagrinée d'une telle étreinte. Lissant sans cesse de petits gestes nerveux les plis de sa vieille robe d'ardoises moussues, la dame m'a prié de bien vouloir communiquer à l'importun le profond désintérêt qu'elle lui porte. J'ai aussitôt transmis au goujat incriminé les doléances de ma plaignante, arguant de la position intenable de cette dernière pour faire cesser ce siège messéant. L'époulpicéa, prenant un air contrit, s'est excusé, dans une demi-langue de bois, de ne rien pouvoir faire pour adoucir le sort de la dame : il faut bien comprendre que c'est une véritable tempête qui le pousse à agir ainsi, sa simple volonté n'étant pas de taille à résister aux forces conjuguées d'Éros et d'Aquilon dont il n'est que l'instrument, racines et branches liées. Aussi suggéra-t-il à demi-mots que moi, et moi seul, propriétaire des alentours, pourrais mettre fin par droit régalien à cette affligeante subordination. S'il en venait donc à surprendre divers propos au voisinage évoquant une incertitude quant à la pérennité de son existence, il saurait ne point s'en offusquer. Ne voulant pas le prendre en traître, c'est ainsi que je lui ai murmuré sans préméditation mon intention de le faire abattre prochainement. Il a pris la chose sereinement, se sentant complice de ma décision. Son apparence générale tient d'ailleurs plus du poteau d’exécution que du condamné à mort, ce qui peut offrir un côté rassurant à toutes les parties impliquées dans cette affaire. Après avoir rapporté notre conversation à dame toiture qui en trouva quelque consolation si bien qu'elle rejoua avec ses deux chiens-assis ‒ assis! couchés! assis! , ce qu'elle avait cessé de faire depuis des années, je me mis en quête d'un peloton de fusiliers marins aptes à accomplir proprement une tâche létale, un époulpicéacide carabiné, qu'on en finisse. On m'assura de ci de là qu'il était trop tôt pour pêcher du sapin et couper du poulpe, qu'il y avait trop de sève et d'encre dans la saison pour ne pas abimer les outils, que l'idéal serait d'attendre février quand le bestiau sera assoupi et aura moins de temps pour s'angoisser, étant donné que le mois ne comporte que vingt-huit jours. J'eus beau proposer, à droite et à gauche, novembre qui comptera cette année deux jours fériés en semaine, sans oublier une belle atmosphère propice à toute entreprise de zigouillage, on me rétorqua partout que l'on connaissait son métier, que si je savais mieux que, je n'avais qu'à. Rien n'y fit. Me voilà sans recours condamné à passer le fond de l'hiver avec un satyre hybride et une toiture frigide. Espérons qu'il n'y aura pas de gros coups de vent, je ne voudrais pas me retrouver avec un chablis pendant les fêtes. Ce serait trop... ou trop peu.

mercredi 7 novembre 2018

Bricoles : 026 - Éthique


Le représentant de commerce Macron place le cirage imperméable Pétain en tête de gondole pour amarrer le Ramassis National qui prend l'eau depuis quelque temps. Mais passé la stupéfaction qui s'empare du consommateur grelottant devant l'étalage, ce produit d'appel manque un peu d'audace pour faire démarrer les ventes et les trahisons. Il aurait été autrement efficace, en piochant par-delà la ligne bleue des Vosges, dans un souci habile et discret d'européanité, de réhabiliter cet humble première classe de la Première Guerre mondiale, jeune combattant aussi franc et carré que sa petite moustache, gazé à Ypres et décoré de la croix de fer, blessé à la cuisse par un obus, ni buveur ni fumeur, respectueux des femmes et ami des chiens. Bien sûr, il faudrait savoir faire abstraction du grand écart qu'il accomplira par la suite au-dessus d'un continent wagnérisé par ses soins, les affres de la cinquantaine collées à ses escarpins, et ne pas tout mélanger, ceci étant une autre histoire, un égarement autant mental que poliorcétique, un démon de midi tictaquant sur la pendule d'un siècle toqué. N'occultons aucune page, l'espace publicitaire est trop précieux pour négliger le moindre filon, le moindre grumeau de la vieille confiture qu'est toute commémoration entendez comme cela se décompose avec le plus grand naturel en commère et en mort , au risque de passer pour un bouffon, mais qu'importe, quand on fait feu de tout bois il faut accepter parfois de se brûler les grelots.

Bricoles : 025 - Estimation


31 nouveaux senryū sur la Planète

étendue de blé                                               é tañ dü de blé
pulvériser les clichés                                        pül vé ri zé lé kli cé       
une blonde prend la pose                                   ün bloñd prañ la poz         

avion d'épandage                                            a vyoñ dé pañ daj
la chimie fait des ravages                                la ci mi fé dé ra vaj        
c'est la mort aux trousses                                  sé la mo ro trus             

E85                                                                e ka tre viñ siñk
oups la nourriture qui trinque                           ups la nu ri tür ki triñk       
mangée par la route                                           mañ jé par la rut            

maïs et betteraves                                          ma i sé bé trav
le trafic de drogue s'aggrave                             le tra fik de drog sa grav       
réservoir à planque                                             ré zér vwa ra plañk

mécanique quantique                                      mé ka nik kañ tik
des pollutions identiques                                  dé po lü syoñ zi dañ tik         
ondes particules                                                 oñ de par ti kül

d'essence volatile                                            dé sañs vo la til
la téléphonie mobile                                          la té lé fo ni mo bil       
gazouillis de luxe                                                ga zu yi de lüx

pour servir la soupe                                         pur sér vir la sup
porter le moral des troupes                                por té le mo ral dé trup            
les écrans sont plats                                            lé zé krañ soñ pla

une alternative                                                ü nal tér na tiv
la radio est moins nocive                                   la ra dyo é mwiñ no siv         
sauf à l'hôpital                                                     so fa lo pi tal

cancer des poissons                                         kañ sér dé pwa soñ
métaux lourds dans les maisons                         mé to lur dañ lé mé zoñ   
ramer en zodiac                                                   ra mé rañ zo dyak

hubris tyrannique                                            ü bris ti ra nik
bâtir des mers de plastique                                ba tir dé mér de plas tik     
briques de l’ego                                                   bri ke de lé go

derrière l'édito                                                 dé ryér lé di to
papiers cachés des journaux                               pa pyé ka cé dé jur no          
devant la forêt                                                     de vañ la fo ré

bonjour les labours                                           boñ jur lé la bur
amazonie mon amour                                         a ma zo ni moñ na mur            
garçon du brésil                                                    gar soñ dü bré zil

bientôt plus d'indiens                                        byiñ to plü diñ dyiñ
pour nous faire un beau dessin                            pur nu fé riñ bo dé siñ     
du meilleur des mondes                                         du mé yer dé moñd

complice amerloque                                         koñ pli sa mér lok
tes mèches nous interloquent                            té mé ce nu ziñ tér lok                             
nous pensons bouche bée                                     nu pañ soñ buc bé

casser la baraque                                             ka sé la ba rak
couper les adirondacks                                       ku pé lé za di roñ dak                 
du bois d'allumettes                                              dü bwa da lü mét

tortilla curtain                                                  tor ti ya ker tén
droit dans le mur de la haine                               drwa dañ le mür de la hén          
vamos amigo                                                        ba mo sa mi go

влади́мир пу́тин                                               vla di mir pu tin
du fond de la grande cuisine                                dü foñ de la grañd küi zin          
odeur de roussi                                                      o der de ru si

conjurer le mal                                                  koñ jü ré le mal
l'omelette internationale                                      lom lé tiñ tér na syo nal             
marcher sur des oeufs                                            mar cé sür dé ze

évitez le clash                                                   é vi té le klac
mieux vaut frondes que bombe h                         mye vo froñ de ke boñ bac                       
don't push the button                                             dañt puc ze ba ten

divine comédie                                                 di vin ko mé di
shoote l'enfer au paradis                                    cut lañ fér o pa ra di           
la feinte est sublime                                              la fiñ té sü blim

merde inorganique                                            mér di nor ga nik
aux seins des fausses sceptiques                          o siñ dé fo se sép tik
si l’icône fait preuve                                               si li kon fé prev

chacun ses ordures                                            ca kiñ sé zor dür
moi c'est la littérature                                          mwa sé la li té ra tür             
qui coule dans mes veines                                       ki kul dañ mé vén

des ruisseaux pollués                                        dé rüi so po lüé
rejetant un alphabet                                            re je tañ tiñ nal fa bé              
dans le roman fleuve                                             dañ le ro mañ flev

l'océan du net                                                    lo sé añ dü nét
crée d'holistiques barquettes                                kré do lis ti ke bar két
teilhard de chardin                                                 té yar de car diñ

toile et disques durs                                           twa lé dis ke dür
fluctuant nec merguntur                                       flük tü ant nék mér gün tür          
les données reprisent                                              lé do né re priz

profusion chagrine                                             pro fü zyoñ ca grin
les terres rares en chine                                       lé té re ra re zañ cin            
marco polo pleure                                                  mar ko po lo pler

qu'il prenne son doudou                                      kil prén soñ du du
et revenons à nos loups                                       é re ve noñ za no lu       
mangeurs de moutons                                            mañ jer de mu toñ

La viande est coûteuse                                       la vyañ dé ku tez
mais elle est vraiment goûteuse                            mé zé lé vré mañ gu tez        
laissons le champ libre                                            lé soñ le cañ libr

la carotte aussi                                                   la ka ro to si
tonitrue son propre cri                                           to ni trü soñ pro pre kri            
fraîcheur de l'orfraie                                                fré cer de lor fré

faut-il pour autant                                              fo til pu ro tañ
faire couler l'encre et le sang                                 fér ku lé lañ kré le sañ         
au rayon boucherie                                                   o ré yoñ buc ri

végane ne brille pas                                            vé gan ne briy pa
la peau de l'ours tu rendras                                    la po de lurs tü rañ dra             
en risquant la tienne                                                añ ris kañ la tyén

mardi 6 novembre 2018

Bricoles : 024 - Entournures


Emmanuel Macron excelle à fausser les airs de solennité un peu niaise qu'il doit prendre à chaque pensum de chaque messe. Nous sentons ses petites dents pointues agacées par la retenue de la langue : lime et châtiment. Ces exercices "schpountzesques" d'écolier timide l'ennuient : "tout condamné pour la France aura la tête couronnée". Devoir réciter au tableau microphonique des passages entiers de nostalgie convenue sur la Grande Boucherie et charcuter d'un air guindé des rubans d'un autre âge, quand ce corps de garçonnet voudrait se dépenser, placer ses billes dans la cour, jouer au gendarme et au voleur, précipiter des pans entiers de l'économie dans les tranchées creusées par les copains, arracher les pattes aux hannetons gesticulants, parquer les chats errants, étaler de la moutarde sur le siège de l'instituteur, faire traverser la rue à des dames âgées de moins de soixante-sept ans qui cherchent le chemin précaire de l'emploi pff...c'est même pas par là, on l'a bien eue ! , fumer dans les toilettes, pratiquer l'art du croche-pied, ramasser les fruits qui traînent, châtaignes, cerises, csg, noisettes une taxinomie reste à établir , se bourrer les poches de bonbecs, mettre le feu sous des paillassons déjà secs, se battre à poil dans les taillis idéologiques pour ne pas perdre trop de plumes. Il nous est pénible d'entendre ainsi une jeune volonté, bridée par sa cravate, à la recherche d'un gibus décoiffant, qui aspire à se lancer dans des expériences variées de ravages divers à l'opposé de la sénilité des croulants pour leur capacité de rapidité à provoquer les éboulements.

mercredi 31 octobre 2018

Bricoles : 023 - Émission


Ce soir sur France-Inter, à 19 heures 21, le Téléphone sonne : Le Bitcoin a dix ans et j'y comprends toujours rien! On y parle beaucoup de spéculation et de blanchiment, de liberté, de craintes, d’espoirs, d’utilité, de la façon de s’en servir, on s’interroge, on est enthousiaste, intrigué ou révolté, on n'a pas évité le petit cours en passant sur la prononciation de la chose, son écriture aussi majuscule ou pas , mais pas un seul instant l'animatrice, ni les intervenants au téléphone, ni les experts invités ne se demandent ou proposent d'expliquer comment ont été créés les premiers bitcoins et comment on peut en fabriquer de nouveaux. Le verbe “miner” est enfin prononcé dans les trois dernières minutes de l’émission, et “miner” c’est quoi ? : “Ben, c’est sécuriser le réseau !”. Les auditeurs les plus futés auront compris tout de même que l'on parlait du réseau de bitcoins. À aucun moment on n’aura abordé le fonctionnement de la “blockchain”, par exemple. Nous savons bien que c’est très compliqué, ces choses-là, quand on n'est pas versé dans un liquide informatique, quand on n'a pas reçu une poussée verticale égale au poids du volume de connaissances enregistrées, mais le service public radiodiffusé, nom de dieu, n'est-il pas fait pour nous instruire pendant que nous réchauffons la soupe ? Tandis qu'à cette heure-là, les désœuvrés bien en peine subissent les perpétuelles quinzaines commerciales d'une sottise achevée retransmises sur leurs écrans dernier cri. Les bourreaux restant sourds à toutes les plaintes, on comprend mieux pourquoi les grandes douleurs sont muettes...

samedi 27 octobre 2018

Bricoles : 022 - Écologie












31 senryū sur la Planète

l'aigle sur le dos                                               lé gle sür le do
pétarader en moto                                            pé ta ra dé rañ mo to
gaz à effet de serres                                          ga za é féd sér

le covoiturage                                                  le ko vwa tü raj
partager le paysage                                           par ta jé le pé i zaj
quatre-vingts à l'heure                                        ka tre viñ za ler

un moteur thermique ?                                     iñ mo ter tér mik
le réchauffement climatique                              le ré cof mañ kli ma tik
nous a refroidis                                                 nu za re frwa di

chauffer posément                                           co fé po zé mañ
limiter les déplacements                                    li mi té lé dé plas mañ
vive le couvre-feu                                              vi vle ku vre fe

ce grand presbytère                                         se grañ prés bi tér
pour la famille nucléaire                                    pur la fa miy nü klé ér
un clapier suffit                                                 iñ kla pyé sü fi

conseils erronés                                               koñ sé yé ro né
croissez et multipliez                                         krwa sé zé mul ti pli yé
cultes obsolètes                                                  kül te zob so lét

étienne et jean-yves                                        é tyé né jañ iv
l'un veut une maison passive                             liñ ve tün mé zoñ pa siv
l'autre se laisse faire                                          lo tre se lés fér

produire son courant                                        pro düir soñ ku rañ
isoler l'appartement                                          i zo lé la par te mañ
naufragé chez soi                                               no fra jé cé swa

consommer local                                              koñ so mé lo kal
au ramassis national                                         o ra ma si na syo nal
ils vont kiffer ça                                                 il voñ ki fé sa

croquer une golden                                           kro ké rün gol dén
35 traitements en moyenne                               trañt siñk trét mañ zañ mwa yén
paradis perdu                                                     pa ra di pér dü

soupe de mirliton                                             sup de mir li toñ
mettre un légume de saison                               mé triñ lé güm de sé zoñ
voilà le haïku                                                      vwa la le hay ku

plus de glyphosate                                            plü de gli fo zat
dans la bouche de la playmate                            dañ la buc de la plé mat
qui nous suce à mort                                            ki nu sü sa mor

faire son dentifrice                                          fér soñ dañ ti fris
sourire dans un précipice                                   su rir dañ ziñ pré si pis
embrasser la cause                                             añ bra sé la koz

la douche écolo                                                la du cé ko lo
se noyer dans un verre d'eau                              se nwa yé dañ ziñ ver do
husky sans glaçons                                              hüs ki sañ gla soñ

planète inondée                                               pla né ti noñ dé
berceau de l'humanité                                        bér so de lü ma ni té
mouiller ses calottes                                           mu yé sé ka lot

à la question piège                                          a la ké sioñ pyéj                
comment nettoyer son siège ?                           ko mañ né twa yé soñ syéj
même les toilettes sèchent                                 mém lé twa lét séc

trier ses déchets                                             tri yé sé dé cé
benne monsanto pour l'ivraie                             bén moñ sañ to pur li vré
garder le bon grain                                             gar dé le boñ griñ

quand on ne fait pas le tri                               kañ toñ nfé pal tri
on est pris pour des nazis                                 oñ né pri pur dé na zi
'commence à bien faire                                      ko mañ sa byiñ fér

ils diront après                                               il di roñ ta pré
tu savais tu n'as rien fait                                  tü sa vé tü na ryiñ fé
nouveau collabo                                                 nu vo ko la bo

brûler du bois vert                                          brü lé dü bwa vér
et finir à nuremberg                                         é fi ni ra nü riñ bér
'ne l'ai pas volé                                                  ne lé pa vo lé

l'ozone ça fait mouche                                    lo zon sa fé muc
en rajouter une bonne couche                          añ ra ju té rün bon kuc
écoute france-inter                                           é kut frañ siñ tér

un record à battre                                          iñ re ko ra batr
1984                                                               mil nef sañ ka tre viñ katr
reste à dépasser                                               rés ta dé pa sé

raconteur linky                                              ra koñ ter lin ki
au courant de tes conneries                             o ku rañ de té kon ri
comme un petit frère                                        ko miñ pe ti frér

papa et maman                                             pa pa e ma mañ
la bonne, le gouvernement                              la bon le gu vér ne mañ
tiennent à ta santé                                            tyén ta ta sañ té

nouvelle religion                                           nu vél re li jyoñ
le péché de pollution                                      le pé cé de po lü syoñ
gare aux puritains                                            ga ro pü ri tiñ

dogmes recyclés                                           dog me re si klé
matériaux ressuscités                                    ma té rio ré sü si té
affaires de cagots                                            a fér de ka go

bravo la planète                                            bra vo la pla nét
sous le joug de cinq ascètes                            su le ju de siñ ka sét
tu me niques du bon temps                                tüm nik du boñ tañ

tout impératif                                              tu tiñ pé ra tif
sera contre-productif                                     se ra koñ tre pro dük tif
messieurs les censeurs                                    mé sye lé sañ ser

aucune dictature                                          o kün dik ta tür
ne rime avec la nature                                   ne ri ma vék la na tür
malgré l'apparence                                          mal gré la pa rañs

oust ! humanité                                           us tü ma ni té
obsolescence programmée                             ob so lé sañs pro gra mé
place aux coccinelles                                       pla so kok si nél

crier au secours ?                                         kri yé ro se kur
il faut bien partir un jour                               il fo byiñ par ti riñ jur
espèce d'abrutis                                              és pés da brü ti

lundi 22 octobre 2018

Bricoles : 021 - Eau


Depuis les dernières années du règne de George II jusqu’aux temps troublés qui suivirent la fin du premier accès de folie du roi suivant, rémission synchrone avec celle d'outre-Manche où l'on achevait enfin de perdre la tête dans des paniers sanguinolents, Jonas Hanway lutta plus de quarante ans contre les vents et les marées du conservatisme ambiant. Les pommes cuites que lui lancèrent plusieurs générations de garnements explosaient au contact de la voilure ridicule arborée par notre marin d'eau de pluie, avant de diffuser un parfum mêlant l'acétone à la cannelle dans son sillage encombré de trognons et de trainées de pulpe. Dans les rues de Londres, les crachins réguliers, les fréquentes averses, les petits déluges et les rideaux de douches accompagnaient les crachats assidus et les quolibets réitérés aussitôt que ce personnage obstiné mettait le nez dehors avec son parapluie, appareil inconnu sous les cieux anglais à cette époque. Grand bourlingueur sous des soleils où l'ombrelle est de mise, et s'improvise autre chose quand l'orage se déclare, Jonas Hanway avait rapporté de Chine cet instrument contre nature qui lui valait sarcasmes et projectiles. Il s'était pourtant acharné contre le sort qu'on lui réservait à chacune de ses exhibitions, joignant le précepte à l'exemple, pédagogue convaincu du bien-fondé de sa mission, expliquant, et réexpliquant sans fin, aux passants dubitatifs qu'il croisait, l’avantage certain à s'équiper ainsi sous l'ondée qui vous cingle, soufflé, soit, par l'inconvénient d'en être privé si celle-ci s'accompagnait d'un vent trop impétueux qui obligerait à faire retraite, briser bien vite son parapluie et le rengainer dans son étui comme une épée poltronne au fourreau. Mais rien n'y faisait, les gens du monde renonçaient à la promenade quand les nuages menaçaient, ou se déplaçaient en voitures couvertes, de louage ou de pleine propriété selon le degré des fortunes, néanmoins fruits ostensibles de richesse qui comptaient bien plus qu'un simple pépin, fût-il exotique. L'homme et son ombre imperméable effrayaient les chevaux, rendaient les chiens hargneux, faisaient pouffer les demoiselles et se signer les plus âgées. Une fois, au milieu d'un carrefour abondant en piétons, il faillit heurter Samuel Johnson et son fidèle Boswell qui prenaient l'air au sortir d'une conférence sur le tabac, et que le hasard avait placés sur son chemin. Il tenta de les persuader de l'utilité de son "ἀντίομβρος". D'un air renfrogné, le Docteur lui fit savoir que l'enfer était pavé de bonnes intentions, qu'il trouvait la chaussée glissante par ce temps humide, mais regrettait en toute modestie, son Dictionnaire étant déjà paru, de n'avoir point pris connaissance plus tôt de cet affreux engin, il fallait bien nommer les choses, qui aurait pu figurer comme néologisme, restant toutefois à déterminer, parmi les quarante-trois mille cinq cents entrées de son impérissable monument. Il promit alentour de l'inclure dans une prochaine édition révisée, mais l'objet en question tardant à percer, cela n'a jamais abouti. Aujourd'hui encore dans la langue anglaise, il n'existe pas de mot spécifique pour désigner le parapluie qui permette clairement de le distinguer de l'ombrelle à laquelle il fait de l'ombre, au point de reléguer cette dernière, qui a dû boucler sa valise à la va-vite, sous le terme de "sunshade". La populace avare d'un travail ruinant pourtant les corps, et l'esprit harassé de mille et une ténèbres, de mauvais gin, de bière amère et de cidre aigri, considérait à l'aune d'éclairs pré-luddites toute avancée sous un climat ombrageux, incapable de peser le pour et le contre, entre la soustraction du pain et la réduction de la peine. Quand les petits ramasseurs de crottin le prenaient pour cible, Jonas tenait bon, stoïque et replié entre ses baleines dans une attitude quasi biblique, conscient que les gamins étaient soudoyés par des cochers inquiets de la pérennité de leurs emplois face à une diminution des clients qui ne craindraient plus de marcher sous la pluie, et feraient déchanter les Kelly, les Reynolds, les O'Connor, les Clayton, tous ces automédons intempérants, tous ces postillons aussi trempés que leurs attelages. À mesure que l'on s'éloignait du port, les nègres se faisaient plus rares et un seul d'entre eux, ayant dépassé le périmètre de banalité, pouvait déclencher une émeute, alors pensez donc, un parapluie ! Des cargaisons de fruits avariés, qui avaient franchi les mers et les limites de la maturité, attendaient leur heure sur les quais, prêts à barioler d'un feu d'artifice mouillé l’instrument étrange et son firmament convexe de toile goudronnée. Bien que l'on puisse en douter, il n'est pourtant pas impossible, par précocité historique, que de rares tomates pourries, en mal de sopranos, eussent été de la partie. Mais contrairement à la cantatrix sopranica, l'homo parapluvius n'a jamais élevé la voix : il s'est contenté de répéter calmement pendant des années que son accessoire serait bientôt très apprécié à Londres, et que tout le monde voudrait en posséder un. Ce qui finit par arriver un beau jour quand les Incroyables et les Merveilleuses, sous le Directoire français, répandirent l'usage du parapluie-canne jusqu'au delà du Channel et autres frontières ennemies. La mode de Paris rayonnait déjà et se moquait des guerres comme d'une première chemise. Hélas, Jonas Hanway brillait moins : le grand âge et ses courbatures l'avaient rejoint et le condamnaient à regarder la pluie tomber par la fenêtre de sa chambre.